Publié le 26 janvier 2024
Homélie du Père Emmanuel Schwab
3ème dimanche Pendant l’Année – Année B
1ère lecture : Jonas 3,1-5.10
Psaume : 24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9
2ème lecture : 1 Corinthiens 7,29-31
Évangile : Marc 1, 14-20
Cliquez ici pour télécharger et imprimer le texte
Jonas est-il une bénédiction pour Ninive ? La proclamation de Jonas à Ninive est-elle une parole de bénédiction ? Oui ! Oui, nous le voyons à travers les effets sur les habitants de Ninive : « Aussitôt, les gens de Ninive crurent en Dieu. Ils annoncèrent un jeûne, et tous, du plus grand au plus petit, se vêtirent de toile à sac. En voyant leur réaction, et comment ils se détournaient de leur conduite mauvaise, Dieu renonça au châtiment dont il les avait menacés ».
Bénir, en latin bene-dicere signifie “dire du bien”. Il ne s’agit pas de dire du bien de la personne que l’on bénit ou de la situation que l’on bénit, il s’agit de rappeler le bien que Dieu veut pour les personnes et pour les relations. Et parfois, les paroles de bénédiction sont des paroles de vérité qui dérangent, qui alertent. La bénédiction de Dieu n’est pas une parole lénifiante qui consisterait à approuver tout ce que fait l’homme : la parole de bénédiction de Dieu est une parole qui dit le vrai bien, qui dit la vérité sur l’homme et qui toujours appelle l’homme à la conversion. « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! » est une parole de bénédiction. Dans la suite de Jonas, Jésus va appeler à la conversion, dès le début de son ministère. En fait, il reprend la proclamation de Jean : « Convertissez-vous, le Royaume de Dieu s’est approché, convertissez-vous et croyez à l’évangile ». Le mot grec qui désigne la conversion, metanoïa – μετάνοια, signifie le changement du noûs – νοῦς, c’est-à-dire le changement de l’intelligence, le changement de l’esprit, le changement du regard. Il s’agit d’abord d’apprendre à regarder les choses comme Dieu les voit, à penser le monde comme Dieu le pense. Et cette conversion nous conduit à croire en l’Évangile. Mais l’Évangile, ce ne sont pas d’abord des écrits, c’est d’abord l’événement Jésus-Christ. C’est la présence au milieu de nous du Verbe fait chair, celui dont nous avons célébré la Nativité il y a quatre semaines. C’est cette présence au milieu de nous du Verbe fait chair qui est l’Évangile, qui est la bonne nouvelle du salut. Et croire à l’Évangile, c’est se mettre à la suite de Jésus, c’est croire Jésus, c’est le prendre pour maître et pour guide.
Aussitôt après cet appel, Jésus va s’associer deux fois deux frères, sans doute pour signifier comment Jésus vient déjà guérir la fraternité blessée dès le début de la Genèse où Caïn tue son frère Abel (Cf. Gn 4) et comment Jésus vient appeler l’humanité à entrer dans une fraternité nouvelle. Il appelle ces hommes pour en faire des “pêcheurs d’hommes”, c’est-à-dire pour l’aider, lui, Jésus, à aller chercher l’humanité pour la faire entrer dans ce Royaume de Dieu, ce règne de Dieu qui s’est approché en Jésus.
Ce thème de devenir pêcheur d’hommes marque l’Église depuis ses origines. Il serait erroné de penser, parce que ces quatre-là deviendront apôtres, que le fait d’être pêcheur d’hommes est réservé aux seuls apôtres et à leurs successeurs, les évêques. J’en veux pour preuve celle qui est la cause de cette basilique, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, qui perçoit très tôt cette vocation de “sauver des âmes”, comme elle le dit avec son vocabulaire de la fin du 19ème siècle. C’est une simple traduction de l’expression “pêcheur d’hommes”. Thérèse ne fait pas partie du groupe des 12 apôtres, elle n’est pas évêque de l’Église : non, c’est une jeune femme. Et qu’est-ce qui va être le déclencheur de cela ? C’est ce qu’elle vit au mois de juillet 1887 dans l’église Saint-Pierre à la fin d’une messe où une image dépasse de son missel ; cette image représente Jésus en croix et elle voit le bras de Jésus et la main de Jésus, d’où coulent du sang. Et elle se dit : mais au fond, qui s’inquiète de faire advenir ce sang jusqu’aux pécheurs ? Et Thérèse voit naître en elle un grand désir de donner ce sang aux pécheurs, c’est-à-dire, elle sent grandir en elle, à cause de Jésus et à cause de ce qu’elle appellera plus tard, “cette folie que Jésus a faite pour nous”, ce désir que l’œuvre de Jésus aboutisse vraiment et que tout homme, toute femme au monde, puisse accueillir le salut que Jésus est venu donner.
Et c’est au fond son amour pour Jésus et la manière dont elle comprend que Jésus l’a aimé elle, qui fait qu’elle comprend que Jésus a aimé de la même manière et aimera de la même manière toute personne humaine, et qu’il est bon d’aider Jésus à faire que toutes ces personnes pour qui il a donné sa vie, accueillent son salut. Le salut des âmes est le souci premier de Thérèse. Et si elle entre au Carmel, c’est pour Jésus et pour sauver des âmes, c’est-à-dire pour coopérer à l’œuvre d’évangélisation de Jésus. Et même, dans son billet de profession, qu’elle écrira le 8 septembre 1890 et qu’elle portera toujours sur elle, elle termine ainsi :
Jésus, fais que je sauve beaucoup d’âmes, qu’aujourd’hui il n’y en ait pas une seule de damnée et que toutes les âmes du purgatoire soient sauvées.
Voilà le désir qui l’habite profondément. Frères et sœurs, ce désir nous habite-t-il nous aussi ? Ce désir que tous les hommes soient sauvés, ce qui est la volonté de Dieu ! Ce que Paul dit à Timothée dans sa première Lettre à Timothée, au chapitre 2 verset 4 : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité ». Est-ce que je le veux aussi ? Et est-ce que je veux travailler avec Jésus pour cela ?
Thérèse va y travailler dans son Carmel, en offrant sa vie au Seigneur et en cherchant, à travers tous les instants, tous les moments de son existence, à faire, ce qui plaît à Jésus, à être avec lui, à offrir sa vie pour le salut des âmes. D’une certaine manière, Thérèse comprend qu’en Jésus, le Ciel est présent. Et elle vit toute sa vie comme étant une préparation à cette plénitude de la vie.
Un peu plus d’un mois avant sa mort, Thérèse dit :
Vous pourrez dire de moi: « Ce n’est pas en ce monde qu’elle vivait, mais au Ciel, là où est son trésor. » (CJ 12 août, 6).
Et il n’y a chez Thérèse aucun dénigrement de ce monde-ci. Elle s’y engage pleinement et elle s’y engage en particulier dans le service concret et la charité envers celles au milieu desquelles elle vit. Elle n’est pas sur un nuage en train de mépriser ce qui se passe ici. Elle a son cœur rempli du Ciel, ce qui lui permet de vivre déjà en ce monde de la charité du Ciel.
Dans ce chemin, le visage de Jésus est l’expression pour elle de sa présence. Elle écrit un jour à Céline :
Les ombres déclinent et la figure de ce monde passe, bientôt, oui bientôt nous verrons le visage inconnu et aimé qui nous ravit par ses larmes. (LT 120 à Céline).
Thérèse est fascinée par la Sainte Face, c’est-à-dire Jésus qui pleure sur le monde et Jésus qui a les yeux baissés, les paupières baissées comme s’il fermait les yeux sur nos péchés.
Et cette manière de vivre déjà du Ciel n’est pas un mépris de la terre, mais c’est au contraire une attente de plus encore. Un peu comme s’écriera plus tard Guy de Larigaudie dans « Étoile au grand large » : « Le monde où nous vivons n’est pas à notre taille et nous avons le cœur gros, parfois de toute la nostalgie du ciel ». Mais Thérèse, avant, avait écrit à Mère Agnès :
Je ne trouve rien sur la terre qui me rende heureuse ; mon cœur est trop grand, rien de ce qu’on appelle bonheur en ce monde ne peut le satisfaire. Ma pensée s’envole vers l’Éternité, le temps va finir !… mon cœur est paisible comme un lac tranquille ou un ciel serein ; je ne regrette pas la vie de ce monde, mon cœur a soif des eaux de la vie éternelle !… LT 245 à Mère Agnès.
Paul ne nous dit rien d’autre dans cette seconde lecture que nous avons entendue : « Le temps est limité. Dès lors, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme, ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient pas… », etc. Vivre ce monde, complètement dans ce monde, dans la réalité du monde, mais en ayant le cœur déjà dans le Ciel, et dans ce souci de travailler avec Jésus pour que tous les hommes connaissent le bonheur du Ciel. Je termine en citant l’une des nombreuses strophes, la 13ème, du long poème Vivre d’amour. :
« Vivre d’Amour, quelle étrange folie ! »
Me dit le monde, « Ah ! cessez de chanter,
Ne perdez pas vos parfums, votre vie,
Utilement sachez les employer ! … »
T’aimer, Jésus, quelle perte féconde !…
Tous mes parfums sont à toi sans retour,
Je veux chanter en sortant de ce monde :
« Je meurs d’Amour ! »
Amen