Publié le 15 février 2024
Homélie du Père Emmanuel Schwab
Mercredi des Cendres – Année B
1ère lecture : Joël 2, 12-18
Psaume : 50, 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17
2ème lecture : 2 Corinthiens 5, 20 – 6, 2
Évangile : Matthieu 6,1-6.16-18
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Sainte Thérèse ne parle pas beaucoup du Carême.
Elle l’évoque dans une lettre à sa sœur Léonie (LT 175) et je résume : elle parle du Carême comme symbolique de cette “terre d’exil”, et du Temps Pascal comme symbolique de la “Patrie du Ciel” vers laquelle nous marchons. Cet ensemble, terre d’exil et Patrie du Ciel, ou plutôt ce couple terre d’exil – Patrie du Ciel, habite vraiment le cœur de Thérèse.
Très tôt, elle reçoit comme une grâce, pourrait-on dire, la nostalgie du Ciel : elle le désire ce Ciel, ce “beau Ciel” (sic) ; c’est ce qu’elle souhaite dans ses vœux, par exemple : de partager le “beau Ciel” (Cf. LT 072 à Louis Martin). Et autant Thérèse aime la vie et la trouve magnifique, cette vie, autant cette situation d’exil sur la terre lui pèse.
Il me semble intéressant d’éclairer la démarche du Carême avec cette arrière-fond d’exil. Facilement, nous oublions le Ciel. Facilement, nous perdons de vue le but vers lequel nous marchons. Nous sommes parfois comme ce montagnard qui veut arriver au sommet de l’Everest, et qui perdrait de vue le sommet et s’égarerait dans les premières pentes de la montagne. Il s’agit aujourd’hui de nous remettre devant les yeux ce “beau Ciel”, ce Royaume des Cieux, ce Royaume de Dieu — on trouve les deux expressions dans l’Évangile — que Jésus ne cesse d’annoncer et vers lequel nous nous dirigeons. Mais il nous faut mesurer que nous n’y sommes pas encore. Et il nous faut accepter de souffrir de n’y être pas encore.
Nous ne pouvons pas désirer vraiment quelque chose qui est à venir sans en éprouver le manque. Si nous n’éprouvons pas le manque du beau Ciel, c’est que nous sommes en train de passer à côté de quelque chose. Et l’on pourrait dire que le temps du Carême est là pour faire réapparaître dans nos vies ce manque.
Nous ne sommes pas encore au bout du chemin !
Bien sûr, le terme du chemin, ce Royaume est tout entier présent en Jésus. Et c’est pour cela que Jésus est si central dans notre existence, et que pour Thérèse, toute sa vie, c’est d’aimer Jésus est de le faire aimer ; et de contempler sa face, souffrante, lui qui porte nos péchés.
Ce manque, ce désir du Ciel, nous avons la tentation de le masquer en cherchant des satisfactions à très court terme dans la nourriture, dans les loisirs, dans les jeux, dans je ne sais quoi encore… La pénitence du Carême, c’est de décider de renoncer à ces satisfactions à court terme, pour pouvoir laisser émerger en nous et apparaître le vrai désir qui nous habite qui est le désir de voir Dieu, qui est le désir de la vie en plénitude, qui est le désir du Ciel. Si la pénitence du Carême n’a pas cela comme but, alors nous passons à côté de quelque chose. Il nous faut creuser ce désir.
Ce que nous avons entendu dans le prophète Joël, où le Seigneur nous appelle à revenir à lui de tout notre cœur, c’est cela… Revenir à Dieu, désirer sa présence, désirer son Royaume, désirer vivre cette plénitude de vie qui est en Dieu.
En cherchant à revenir à Dieu, nous mesurons comment le péché fait son œuvre dans nos vies. Et il y a aussi dans ce Carême à laisser apparaître notre péché. Laissez-vous réconcilier avec Dieu, nous dit l’apôtre, laissez-vous réconcilier pour connaître dès cet exil la joie de vivre avec Dieu. Et notre péché, ce n’est pas ce qui nous gêne, nous : notre péché, c’est ce qui se gêne Dieu, si l’on me permet l’expression. Je veux dire que c’est la parole de Dieu qui peut nous révéler notre péché, ce peut être aussi la parole de nos frères qui se fait médiatrice de la parole de Dieu. Mais notre seule subjectivité ne peut pas suffire à faire apparaître ce qu’est réellement le péché dans nos vies. Il nous faut demander la grâce à Dieu, de nous montrer notre péché, de nous montrer ce qu’il veut réformer en nous, puisque Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.
Désirer le ciel, prendre conscience que nous n’y sommes pas encore, que nous ne sommes qu’en chemin et que nous ne sommes pas au terme du chemin, c’est cela qui doit nous inspirer sur les actes de pénitence, de renoncement, qu’il nous faut poser dans ce Carême. Qu’est-ce qui va nous aider le mieux à nous tourner davantage vers le seigneur ? Qu’est-ce qui va nous aider le mieux à trouver du temps pour méditer la parole de Dieu, méditer la Bible, les Écritures Saintes, en prenant le temps de nous asseoir, d’ouvrir notre Bible ? Quels sont les renoncements qui vont nous aider à être plus attentifs à notre prochain, à déployer davantage de charité dans nos familles, sur nos lieux de travail, là où nous vivons ?
Le but du carême, ce n’est pas d’alourdir notre vie avec telle ou telle règle : le but, c’est au contraire de nous libérer de tout ce qui nous entrave, et en particulier, dit la lettre aux Hébreux, du péché qui nous entrave si bien. Les trois dimensions qui nous sont suggérées dans l’Évangile, l’aumône, la prière et le jeûne nous disent
- comment, par l’aumône, il s’agit de déployer notre charité envers le prochain.
- comment par la prière il s’agit de déployer notre charité envers Dieu, en prenant davantage le temps de l’écouter et de le laisser venir nous toucher intérieurement dans la prière, et le jeûne nous dit à quoi nous devons renoncer pour laisser notre cœur être rempli de la grâce de Dieu.
Entrons résolument, frères et sœurs, dans ce beau temps du Carême.
Ce n’est pas nous qui décidons d’entrer dans le Carême, c’est Dieu qui nous y appelle par son Église. Et si Dieu nous appelle à vivre quelque chose, c’est qu’il veut nous y donner quelque chose.
Accueillons sa grâce et offrons-nous résolument, jour après jour, dans la persévérance pour connaître vraiment la joie du Ciel.
Amen