Homélie du Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire

5ème dimanche de Carême – Année B

1ère lecture : Jérémie 31, 31-34

Psaume : 50 (51), 3-4, 12-13, 14-15

2ème lecture : Hébreux 5,7-9

Évangile : Jean 12,20-33

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Nous avons, dans la première lecture, une des grandes annonces prophétiques. — c’est chez le prophète Jérémie — de la nouvelle Alliance promise par Dieu. Et la caractéristique de cette nouvelle Alliance, c’est : « Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Ils n’auront plus à instruire chacun son compagnon, ni chacun son frère. Tous me connaîtront des plus petits jusqu’au plus grands ».

De quelle manière le Seigneur va-t-il réaliser cette inscription de la loi au fond de nos cœurs, et cette révélation intérieure ? C’est par le don de son Esprit-Saint dans les sacrements de l’initiation chrétienne : le baptême, la confirmation et l’Eucharistie, qui forment un tout et que les catéchumènes reçoivent normalement en une seule fois dans la Vigile Pascale.

Chaque sacrement a un objet propre :

Par le baptême, nous devenons enfants de Dieu en traversant la mort avec le Christ, et en étant unis au Christ ressuscité.

Dans le sacrement de la confirmation, cet Esprit qui a agi en nous pour faire de nous des enfants de Dieu nous est donné en plénitude comme notre propre esprit.

Et enfin, dans l’Eucharistie, nous recevons cette nourriture ordinaire de la vie du disciple de Jésus qui fait que, semaine après semaine, dimanche après dimanche, nous venons raviver en nous et nourrir en nous cette union à Jésus qui est le cœur de notre vie chrétienne.

Au passage, mesdemoiselles et messieurs qui vous préparez au mariage, c’est bien parce que l’Esprit-Saint est nécessaire à notre vie chrétienne que l’Église vous demande de recevoir le sacrement de la confirmation, pour que le sacrement du mariage, lui, soit vraiment plein et entier.

Comment l’Esprit-Saint nous parle-t-il ? Eh bien, de manière très ordinaire lorsque notamment nous méditons la parole de Dieu ou lorsque déjà nous contemplons la Création. Thérèse découvre cela très tôt. Elle l’explique dans le manuscrit A quand elle fait mémoire des années qu’elle a passées à l’école de l’Abbaye à Lisieux, elle avait entre 8 et 13 ans. Elle raconte ainsi cet épisode :

Un jour une de mes maîtresses de l’Abbaye me demanda ce que je faisais les jours de congé lorsque j’étais seule. Je lui répondis que j’allais derrière mon lit dans un espace vide qui s’y trouvait et qu’il m’était facile de fermer avec le rideau et que là “je pensais”. Mais à quoi pensez-vous ? me dit-elle. Je pense au bon Dieu, à la vie… à l’éternité, enfin je pense !… La bonne religieuse rit beaucoup de moi, plus tard elle aimait à me rappeler le temps où je pensais, me demandant si je pensais encore… Je comprends maintenant que je faisais oraison sans le savoir et que déjà le Bon Dieu m’instruisait en secret.

C’est l’expérience toute simple que déjà nous annonce le prophète Jérémie : le bon Dieu qui instruit en secret.

Et elle y revient plus tard — c’est le tout début du manuscrit B — dans la lettre qu’elle écrit à sa sœur Marie du Sacré-Cœur. Elle écrit cela à une époque où elle-même est dans les ténèbres terribles, dans l’épreuve de l’espérance tragique. Elle dit :

Ne croyez pas que je nage dans les consolations, oh non ! Ma consolation c’est de n’en pas avoir sur la terre. Sans se montrer, sans faire entendre sa voix, Jésus m’instruit dans le secret.

Et dans d’autres lieux encore, dans ses écrits ou dans ses lettres, elle explique comment, notamment par la parole de Dieu, elle se laisse instruire par Jésus lui-même. C’est une expérience que nous pouvons tous faire, frères et sœurs, dans la prière solitaire, dans la méditation des Saintes Écritures : de nous laisser instruire par le Saint-Esprit lui-même. Il s’agit juste de vérifier que nous ne prenons pas “nos vessies pour des lanternes”, et donc de vérifier que les illuminations intérieures qui nous viennent sont bien conformes à l’enseignement de l’Église.

Parmi les épreuves que nous rencontrons dans notre vie sont les épreuves de la souffrance et celles de la mort. Jésus, Dieu fait homme, vient pourrait-on dire “tout exprès” pour vivre cela, pour pouvoir nous arracher à la puissance de la mort. Il ne le fait pas de l’extérieur, il le fait de l’intérieur. La mort est un concept ; ce qui existe, c’est quelqu’un qui meurt. Dieu ne peut remporter la victoire que dans quelqu’un qui meurt. Cette victoire, c’est la résurrection. Et donc Jésus va être lui-même confronté et à la souffrance, et à la mort. Ce passage du chapitre 5 de la Lettre aux Hébreux nous le dit bien, nous parlant du Christ qui offre avec les grands cris et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort. Et, nous dit la Lettre aux Hébreux, il fut exaucé. Entendons bien, il s’agit d’être sauvé de la mort, il ne s’agit pas d’être épargné par la mort. Et Jésus est bien sauvé de la mort puisqu’il meurt, qu’il descend au séjour des morts — c’est ce que nous vivrons le Samedi Saint — et que de là, par la puissance de l’Esprit-Saint, le Père le ressuscite en sa chair mortelle et le fait même monter aux cieux et siéger à sa droite… Jésus est bien sauvé de la mort. Et la lettre continue : « Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance ».

C’est un thème qui revient très souvent chez sainte Thérèse : la question de la souffrance.

C’est une question que, personnellement, je n’ai pas fini de creuser, loin de là. Mais il me semble que l’intuition de Thérèse, c’est que, quand tout va bien, il est facile d’aimer. Si je prends l’exemple du mariage : tant que son conjoint est plein d’attention, de délicatesse, d’amour et tout ce qu’on veut, il est assez facile de l’aimer en retour. Mais quand il est pénible, égoïste, acariâtre et tout ce que vous voulez de désagréable, c’est là qu’on va voir si je suis capable vraiment de l’aimer… ce qui ne veut pas dire lui passer tous ses caprices, mais qui signifie continuer de chercher son bien. Et là encore, vous pourrez aller lire dans les Manuscrits comment Thérèse essaie de vivre cela, notamment avec une sœur qu’elle ne supporte pas, et elle se dit : « Mais le Seigneur me demande de l’aimer. Donc je vais me comporter envers elle comme je me comporterai envers la personne que j’apprécie le mieux ». Elle va donc chercher de toutes les manières possibles à lui rendre des petits services, à lui être aimable, à lui rendre un sourire là où Thérèse a juste une seule envie, c’est de lui envoyer quelque chose de méchant à la figure. (Cf. Manuscrit C,13v-14r)

C’est dans l’épreuve que l’amour non seulement se vérifie, mais se fortifie. Et lorsque la Lettre aux Hébreux nous dit que Jésus apprit par ses souffrances l’obéissance, c’est bien l’obéissance de l’amour que Jésus apprend là dans son humanité. C’est toujours dans l’épreuve que nous pouvons grandir dans la charité.

Enfin, dans l’Évangile, nous avons entendu que des Grecs — c’est-à-dire des non juifs qui veulent vénérer le Dieu saint d’Israël — veulent rencontrer Jésus. Ils viennent ainsi trouver un apôtre, Philippe, et Philippe va trouver André, et tous les deux vont trouver Jésus. La réponse de Jésus est étonnante : pourquoi se met-il à parler de grain de blé ? Il est possible que cela soit une référence explicite au mystère d’Éleusis qui est un mystère très ancien — Éleusis est une ville au sud d’Athènes, où se jouait des mystères sacrés pour initier ceux qui le voulaient aux secrets de la vie. Le dernier degré d’initiation était lié à la contemplation du blé. Pourquoi ? Parce qu’on voit bien que le blé pousse, les épis plein de grains ; on re-sème les grains et du blé repousse… On est là dans un cycle incessant où on met la graine en terre, mais elle repousse, on met la graine en terre et elle repousse, et elle repousse en se multipliant. Mais avec l’homme, cela ne marche pas ainsi. Quand on met l’homme en terre, il ne repousse pas. Et donc, quel est ce secret de la vie que contient le grain de blé et que ne contient pas l’homme ? On peut faire l’hypothèse que Jésus est instruit et qu’il connaît ces mystères grecs et qu’aux Grecs, il leur parle du grain de blé. Et que leur dit-il ? Oui, le grain de blé semé en terre va porter du fruit, mais à condition qu’il meure, qu’il meure à lui-même. Ce n’est pas le même grain qui est dans les épis suivants. Et il dit de la même manière : « Qui aime sa vie la perd, qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle ». Il s’agit pour nous de renoncer à nous-mêmes, de laisser et de contribuer à faire mourir le vieil homme, pour pouvoir entrer dans le mystère de la Résurrection que Jésus va inaugurer. Il s’agit pour nous de renoncer à notre petit moi égoïste et étriqué, pour que l’Esprit-Saint puisse élargir notre cœur, déployer en nous la charité de Dieu et que nous puissions porter du fruit ; porter du fruit, c’est toujours grandir dans la charité concrète pour Dieu et pour nos frères.

Et pour pouvoir vivre cela, il nous faut nous attacher solidement à Jésus.

Qu’est-ce qu’un chrétien ? C’est un disciple amoureux de Jésus. Vous savez comment Thérèse résume finalement son appétit missionnaire, dans une belle formule dans une lettre à l’abbé Bellière (LT 220 – 24 Février 1897) :

Aimer Jésus et le faire aimer.

Mais ce n’est pas propre à Thérèse, frères et sœurs, c’est au fond le cœur de la vie de tout chrétien, de tout disciple de Jésus : l’aimer par-dessus tout, avant toute chose. Et je ne peux pas aimer Jésus sans avoir dans mon cœur le désir de le faire connaître et aimer Et que dit Jésus ? « Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera ». Jésus lui-même va rencontrer cette difficulté humaine d’entrer dans l’épreuve qu’il doit vivre :

Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ?

– Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! »

Et Jésus va entrer librement dans sa Passion pour que tous les hommes soient sauvés.

Nous sommes appelés ainsi à suivre Jésus dans son chemin, qui est un chemin de vie. Nous savons que la Croix va ouvrir sur la Résurrection. Nous savons que l’offrande que Jésus nous fait de sa vie le conduit à la plénitude de la vie. Nous pouvons donc comprendre qu’il s’agit pour nous aussi d’entrer dans ce chemin ; que donner notre vie par amour, dans la charité concrète pour nos frères, donner notre vie dans le sacrement du mariage, donner notre vie dans la vie consacrée, c’est un chemin de vie.

Nous ne nous perdons que si nous cherchons à nous conserver.

Nous ne nous trouverons qu’en nous donnant par Jésus, avec Lui et en Lui.

Amen.