Publié le 17 avril 2024
Homélie du Père Emmanuel Schwab
3ème dimanche de Pâques – Année B
1ère lecture : Ac 3,13-15.17-19
Psaume : 4, 2, 4.7, 9
2ème lecture : 1 Jean 2,1-5a
Évangile : Luc 24,35-48
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Aux disciples d’Emmaüs, Jésus a, pourrait-on dire, “mis le pied à l’étrier” pour qu’ils comprennent que ce qu’il avait fait le soir du Jeudi Saint dans le repas Pascal était vraiment destiné à être réitéré. Jésus les entraîne, dans ce geste de la fraction du pain, à comprendre que c’est désormais ainsi qu’il se rendra présent à son Église. Les disciples d’Emmaüs reviennent en courant à Jérusalem. Ils racontent aux Onze ce qui s’est passé. Ils reçoivent confirmation du fait que Jésus est vivant puisqu’on leur dit qu’il est apparu aussi à Simon Pierre. Et l’on peut penser qu’après que les disciples d’Emmaüs ont raconté ce qui leur est arrivé, cela suggère aux apôtres alors pour la première fois de célébrer le repas du Seigneur et, avant l’Ascension, le Seigneur se rend visiblement présent. C’est toujours la même réalité, le même mystère que nous célébrons. Et de la même manière, Jésus se rend présent — si ce n’est qu’après l’Ascension, nous ne le voyons plus avec nos yeux de chair : nous le voyons par la foi.
Devant le Christ ressuscité, les apôtres sont saisis de frayeur et de crainte. Ils croient voir un esprit et Jésus va leur manifester qu’il est vraiment corporellement ressuscité. On peut difficilement faire plus clair : « Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai ». Et Jésus se présente avec la trace des clous et de la lance. Comme cela ne suffit pas encore aux apôtres, Jésus demande s’ils ont quelque chose à manger, et les apôtres vont constater que le poisson ne tombe pas par terre, mais que le poisson est vraiment absorbé dans le corps ressuscité de Jésus.
Qu’est-ce qui les empêche de croire ? On nous dit ici : « Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire ». L’évangile dans le texte grec est plus lapidaire, il dit : “comme ils ne croyaient pas à cause de la joie” (ἀπιστούντων αὐτῶν ἀπὸ τῆς χαρᾶς). J’aime beaucoup cette expression, comme si la joie était un obstacle, comme si cette joie allait faire exploser quelque chose en eux, comme si cette joie les menaçait de destruction. Et de fait, d’une certaine manière, cette joie liée à la résurrection de Jésus vient faire mourir en nous l’homme ancien, l’homme pécheur, pour qu’advienne en nous, l’homme ressuscité, libéré de la puissance de la mort, libéré de la puissance du péché.
Thérèse nous aide beaucoup à comprendre, ou au moins à entendre, que ce qui est premier dans le salut, c’est l’acte de Dieu. Ce qui est premier dans notre conversion, c’est Jésus qui nous sauve par sa mort et sa résurrection. Ce qui est premier dans notre relation à Dieu, c’est la miséricorde de Dieu qui vient nous sauver. Et lorsque les apôtres vont inviter à la conversion — « Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés » —, qu’est-ce que cela veut dire ? Convertissez-vous et tournez-vous vers Dieu… C’est effectivement se détourner de soi-même, de ce regard narcissique sur soi-même, pour fixer ses yeux sur Jésus, l’auteur de notre salut, et nous tourner vers Dieu, notre Créateur et notre Sauveur.
Ce qui fascine sainte Thérèse, c’est cette miséricorde inépuisable de Dieu.
Ce qu’elle contemple, c’est que Dieu a tant d’amour en lui que cette miséricorde veut être répandue sur toute chair ! Et Thérèse contemple qu’il y en a si peu qui veulent accueillir cette miséricorde. Car accueillir la miséricorde, vraiment, c’est accepter d’être en dette vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis de Jésus. Et comme Thérèse l’apprend de saint Jean-de-la-Croix, « l’amour ne se paie que par l’amour ». Lorsque j’accueille vraiment la miséricorde de Dieu, alors je n’ai pas d’autre solution que de me mettre à aimer Dieu et Jésus d’un amour réciproque, d’un amour de reconnaissance, d’un amour de gratitude qui me fait vraiment préférer Jésus à moi-même.
« Comment est-il possible que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » s’écriait Élisabeth à la Visitation (Lc 1,43). Ce cri s’amplifie en nous : comment est-il possible que celui que j’ai crucifié par mes péchés vienne jusqu’à moi, dans la miséricorde, pour me consoler de mes propres péchés, pour me sauver de mes propres péchés et pour m’entraîner avec Lui à aimer comme il nous a aimés ? La conversion, frères et sœurs, ce n’est pas d’abord de renoncer au péché : c’est d’abord de renoncer à vouloir nous sauver nous-mêmes. La conversion, c’est d’abord d’accueillir Jésus le Sauveur. La conversion, c’est d’accepter d’être sauvé par lui. Et si j’accepte cela, si j’accepte cette joie immense, d’avoir été tellement aimé que Dieu a donné Jésus rien que pour moi — et quand je dis “rien que pour moi”, je comprends que c’est pour tous — quand j’accueille cette joie-là, alors ma vie change.
Dans son Offrande à l’Amour Miséricordieux, qu’elle vit de manière intuitive pour la fête de la Sainte Trinité, le 9 juin 1895, dans laquelle elle va entraîner sa sœur Céline avec l’autorisation de mère Agnès —qui ne comprend pas bien ce qui se passe — et dans lequel elle va entraîner d’autres derrière elle, et dans lequel elle veut nous entraîner, dans cette offrande à l’amour miséricordieux, Thérèse écrit ceci et cherche à vivre ceci :
Je voudrais vous consoler de l’ingratitude des méchants et je vous supplie de m’ôter la liberté de vous déplaire, si par faiblesse je tombe quelquefois qu’aussitôt votre Divin Regard purifie mon âme consumant toutes mes imperfections, comme le feu qui transforme toute chose en lui-même……
Entendez bien : lorsque Thérèse envisage qu’elle puisse tomber, qu’elle puisse déplaire à Dieu, qu’elle puisse pécher, qu’est-ce qu’elle demande ? Elle ne demande pas de faire pénitence, elle ne demande pas de réparer ses péchés… Si par faiblesse je tombe quelquefois qu’aussitôt votre Divin Regard purifie mon âme consumant toutes mes imperfections, comme le feu qui transforme toute chose en lui-même. C’est le Christ qui nous sauve, et rien d’autre. C’est son amour qui nous transforme, et rien d’autre. Ce ne sont pas nos pauvres efforts qui nous transforment, c’est l’accueil de son amour. Mais le signe que nous accueillons réellement son amour, c’est qu’alors nous nous laissons entraîner par lui à aimer comme il nous a aimés.
Et nous entendons avec saint Jean que « Celui qui dit j’aime Dieu et qui n’aime pas son frère est un menteur ». La manière dont le Seigneur Jésus veut recueillir l’amour que nous lui portons, c’est à travers nos frères et sœurs : « ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40). Alors nous pouvons entendre saint Jean : « Mes petits enfants, je vous écris cela pour que vous évitiez le péché. Mais si l’un de nous vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père : Jésus Christ, le Juste. C’est lui qui, par son sacrifice, obtient le pardon de nos péchés, non seulement des nôtres, mais encore de ceux du monde entier. »
Dans la contemplation du Ressuscité, que personne ne se laisse affliger par ses propres péchés au point de désespérer du Salut, mais au contraire, en contemplant le Ressuscité et les saintes plaies qu’il porte aux mains, aux pieds et au côté, que chacun puisse se réjouir d’avoir été tellement aimé que dès maintenant, les portes du Ciel lui sont ouvertes.
Amen