Dimanche 2 juin 2024
Solennité du Corps et du Sang du Christ

1ère lecture : Exode 24,3-8
Psaume : 115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18
2ème lecture : Hébreux 9,11-15
Évangile : Marc 14,12-16.22-26

>> Lectures

Cliquez ici pour télécharger et imprimer le texte en pdf

Les lectures de cette fête dans l’année B où nous sommes tournent résolument nos regards vers la question du sacrifice. La grande révélation que reçoit le peuple d’Israël, c’est l’unicité de Dieu en même temps que l’équation : ce Dieu unique est le Créateur de tout… On peut le dire dans l’autre sens : le Créateur de tout est le seul Dieu. Mais ce Créateur n’est pas à l’intérieur du monde, même s’il soutient ce monde « par la parole de sa puissance », comme dit la Lettre aux Hébreux (1,3), il n’est pas dans ce monde. 

Ainsi persiste l’idée que, pour rejoindre Dieu, il faut passer cette frontière qu’est la mort. On ne peut pas voir Dieu. Nous trouvons à plusieurs reprises, dans l’Écriture, cette inquiétude de l’homme qui a eu une manifestation de Dieu et qui dit : J’ai vu Dieu, est-ce que je vais mourir ? (par ex. Jg 13,22).Dans les sacrifices que Dieu donne à son peuple — puisque c’est à travers Moïse que Dieu règle le culte — la victime offerte est en général un animal grand ou petit ; cela va de la tourterelle aux taureau… Cet animal est offert, soit entièrement donné à Dieu dans l’holocauste où il est entièrement brûlé, soit partagé entre Dieu — à qui il est entièrement donné — et l’homme à qui Dieu en redonne une part pour qu’il le consomme : c’est une manière de vivre cette communion avec Dieu.

Mais c’est toujours autre chose que l’homme lui-même, qui est offert. Et dans la Bible, nous trouvons à bien des reprises une formelle interdiction de sacrifier des êtres humains. La coutume existait au Proche-Orient, par exemple pour fonder une ville, de sacrifier un nouveau-né — les archéologues retrouvent des ossements de nouveau-nés sous le seuil d’une porte de ville, par exemple. C’est une abomination pour Israël.

Le sang exprime la vie qui n’appartient qu’à Dieu ; le sang de la victime est répandu à la fois sur l’autel et sur ceux qui offrent le sacrifice, signifiant ainsi cette alliance que Dieu fait avec son peuple au prix de cette victime offerte. C’est ce que nous rappelle le livre de l’Exode dans cet épisode de la conclusion de l’alliance. Moïse offre un holocauste : il offre un sacrifice de paix, puis répand le sang en aspergeant à la fois l’autel et le peuple, après avoir fait lecture de l’Alliance, en particulier le Décalogue.

Comment l’homme peut-il lui-même s’offrir ? Dans ces sacrifices, l’homme communie, pourrait-on dire, à ce qui se passe dans le sacrifice, mais ce n’est pas lui-même qui est offert. Le Christ Jésus, le Fils éternel du Père éternel qui s’est fait homme, s’offre lui-même. Et on pourrait même dire qu’il est le seul à pouvoir s’offrir de cette manière-là parce qu’il est sans cesse en pleine communion avec Dieu. Jésus est offert par le Père en même temps qu’il s’offre au Père. Le Père nous donne Jésus et Jésus, qui partage notre humanité en tout semblable à nous à l’exception du péché, s’offre au Père, pas seulement sur la Croix, mais tout au long de sa vie. Comment s’offre-t-il ? Il s’offre en faisant la volonté du Père. Et on pourrait même dire aussi : en supportant avec patience les pauvres pécheurs que nous sommes. Il y a quelques endroits dans l’Évangile où l’on perçoit chez Jésus une certaine impatience vis-à-vis de ses apôtres qui ne comprennent rien. Il s’offre par amour : par amour pour le Père et par amour pour nous. Il va se donner tout entier, non pas dans un acte suicidaire, mais dans un acte d’offrande de soi dans l’amour, dans la plénitude de la charité. 

Benoit XVI, dans son encyclique Deus Caritas Est, écrit ceci :

Dans sa mort sur la croix s’accomplit le retournement de Dieu contre lui-même, dans lequel il se donne pour relever l’homme et le sauver — tel est l’amour dans sa forme la plus radicale. Le regard tourné vers le côté ouvert du Christ, dont parle Jean (cf. 19,37), comprend ce qui a été le point de départ de cette Encyclique : « Dieu est amour » (1 Jn 4,8). C’est là que cette vérité peut être contemplée. Et, partant de là, on doit maintenant définir ce qu’est l’amour. À partir de ce regard, le chrétien trouve la route pour vivre et pour aimer.

À cet acte d’offrande, Jésus a donné une présence durable par l’institution de l’Eucharistie au cours de la dernière Cène. Il anticipe sa mort et sa résurrection en se donnant déjà lui-même, en cette heure-là, à ses disciples, dans le pain et dans le vin, son corps et son sang comme nouvelle manne (cf. Jn 6,31-33). Si le monde antique avait rêvé qu’au fond, la vraie nourriture de l’homme — ce dont il vit comme homme — était le Logos, la sagesse éternelle, maintenant ce Logos est vraiment devenu nourriture pour nous, comme amour. L’Eucharistie nous attire dans l’acte d’offrande de Jésus. Nous ne recevons pas seulement le Logos incarné de manière statique, mais nous sommes entraînés dans la dynamique de son offrande. (Deus Caritas est n°12 in fine-13)

Dans les paroles du sacrifice eucharistique que nous redirons tout à l’heure, le prêtre prononce ces paroles : « Ceci est mon corps livré pour vous ». Puis ensuite sur la coupe de vin : « Ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés ». Le Corps est livré, le Sang est versé ; dans le pain et le vin nous sont donnés le Corps livré et le Sang versé du Christ. Le pain devient Corps livré, c’est-à-dire présence du Christ qui se livre, le Christ qui se donne en offrande. 

Et le précieux Sang est le précieux Sang versé pour la multitude. 

Lorsque nous venons célébrer l’Eucharistie, dans cette grande prière eucharistique que le prêtre prononce, il s’agit pour chaque baptisé, y compris le prêtre, de partager cette offrande du Christ, d’entrer dans cette offrande du Christ, de désirer s’offrir avec le Christ offert. Et c’est même la grâce que nous demandons. Nous demandons que, lorsque nous serons nourris de son Corps et de son Sang, nous soyons une éternelle offrande à la gloire du Père. Et pour répondre à notre prière, le Père nous donne Jésus en communion. 

Lorsque je viens communier, l’Église m’invite à répondre, à voix haute et non pas dans un murmure inquiet, à voix haute : Amen. À quoi est-ce que je dis « Amen » ? Au moins à trois choses, mais il y en a peut-être d’autres. 

La première, c’est : Amen, je crois que ce pain est bien le Corps du Christ livré.

La deuxième chose : Amen, je crois qu’à travers ce pain qui est devenu le Corps du Christ livré, le Seigneur me fait entrer en communion avec toute l’Église. Communier au Corps du Christ livré, c’est communier à l’Église qui célèbre l’Eucharistie.

Mais une troisième signification de ce Amen c’est : Amen, je suis d’accord pour faire UN avec Jésus qui se livre. Et donc je suis d’accord pour offrir ma vie par amour à Dieu le Père, par Jésus, avec Lui et en Lui. Et offrir sa vie à Dieu, en communion avec Jésus, c’est vouloir positivement aimer nos frères comme Jésus nous a aimés. Je viens célébrer l’Eucharistie et communier à la messe pour m’offrir avec Jésus afin d’aimer mes frères. C’est pour cela que je suis là ce matin.

Lorsque Thérèse contemple le Sang du Christ, c’est en juillet 1887 par un dimanche d’été à la cathédrale Saint-Pierre de Lisieux, une image pieuse — qu’elle appelle vous le verrez une “photographie” — dépasse de son Missel et elle voit le bras de Jésus en croix d’où coule du sang… Je la cite :

Un Dimanche en regardant une photographie de Notre-Seigneur en Croix, je fus frappée par le sang qui tombait d’une de ses mains Divines, j’éprouvai une grande peine en pensant que ce sang tombait à terre sans que personne ne s’empresse de le recueillir, et je résolus de me tenir en esprit au pied de (la) Croix pour recevoir la Divine rosée qui en découlait, comprenant qu’il me faudrait ensuite la répandre sur les âmes… Le cri de Jésus sur la Croix retentissait aussi continuellement dans mon cœur : “J’ai soif !” Ces paroles allumaient en moi une ardeur inconnue et très vive… Je voulais donner à boire à mon Bien-Aimé et je me sentais moi-même dévorée de la soif des âmes…

Ms A 45v

En contemplant le Christ qui se livre, en contemplant ce Corps livré et ce Sang versé, Thérèse comprend que tout cela est fait pour le salut de tous les hommes, et pas seulement pour elle. Alors, dans cette communion qu’elle vit avec Jésus grandit dans son cœur le désir de travailler avec Jésus pour le salut de tous les hommes. Et c’est ce qu’elle va venir vivre au Carmel de Lisieux.

L’année suivante, dans une de ses lettres à sa sœur Pauline (LT 54) — qui est en religion sœur Agnès — elle appelle sa sœur “l’agneau” et elle, elle se compare à un “agnelet”. Et elle parle de sainte Agnès, qui est martyr, elle dit :

Pour l’agneau et l’agnelet il faut la palme d’Agnès,

C’est-à-dire : pour toi, Pauline, et pour moi Thérèse, il faut que nous ambitionnions la palme du martyr ; mais elle précise :

si ce n’est par le sang, il faut que ce soit par l’amour…

Il y a deux sortes de martyrs dans l’Église qui nous font communier au sacrifice du Christ : Il y a le martyr sanglant, violent, qu’hélas des frères et sœurs vivent encore aujourd’hui. 

Et puis il y a le martyr du goutte à goutte de la charité quotidienne vécue concrètement… Je ne sais pas lequel est le plus douloureux car le martyr sanglant est rapide. Le martyr de la charité dure toute la vie jusqu’à notre dernier souffle. 

Il ne nous appartient pas de choisir le martyr sanglant, mais nous pouvons ici et maintenant choisir le martyr de la charité, c’est-à-dire vouloir aimer comme Jésus nous a aimés, au quotidien, sans jamais nous décourager.

Amen