Dimanche 16 juin 2024
11ème dimanche Pendant l’Année – Année B

1ère lecture : Ézéchiel 17, 22-24
Psaume : 91 (92), 2-3, 13-14, 15-16
2ème lecture : 2 Corinthiens 5, 6-10
Évangile : Marc 4, 26-34

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« Nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision ». La foi anticipe la vision. La foi est toujours liée à une parole, à une promesse : il s’agit de croire quelqu’un et de croire quelque chose que ce quelqu’un a dit. 

Je parle là d’abord de l’expérience humaine… Lorsque quelqu’un me promet quelque chose, me dit : “je t’apporterai cela demain”, si j’ai confiance en lui, je sais que demain j’aurais entre mes mains ce qu’il m’a promis. Et une fois que j’ai l’objet entre mes mains, la foi disparaît. Je n’ai plus à croire que la personne va m’apporter quelque chose : je constate, et je peux faire avec ce que j’ai reçu. 

Il en va de même avec le Seigneur : nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. Et l’on pourrait même dire que plus on progresse dans la foi, moins nous voyons clair. Cette foi est faite de confiance : confiance en celui qui annonce, confiance en celui qui promet.

Dans la famille Martin, il y a une grande confiance en Dieu. Lorsqu’on lit les courriers de sainte Zélie, la maman de Thérèse, on est impressionné de cette confiance qu’elle a tout au long de sa vie, dans la manière dont Dieu est bon. Et lorsqu’elle traverse des épreuves qui sont multiples, à commencer par la mort de quatre de ses enfants, sa confiance en Dieu et dans la bonté de Dieu est inébranlable. Cette confiance ne supprime ni la douleur, ni les pleurs, ni l’affliction, mais elle permet de poursuivre le chemin dans cette assurance que Dieu est là, qu’il nous aime et qu’il fait bien toutes choses. 

Dans les beaux jours du temps Pascal de 1896, Thérèse va entrer dans cette nuit, ces ténèbres. Elle qui avait toujours eu la pensée du Ciel devant les yeux, ce “beau Ciel” dont elle parle souvent, elle pour qui c’était une évidence qu’il n’y avait un beau Ciel qui nous attend, voilà que cela disparaît. Et lorsqu’on lit le Manuscrit C où elle raconte cette épreuve, on est impressionné des termes qu’elle utilise. Non seulement elle ne voit plus le beau Ciel, mais ce qui est devenu pour elle une évidence, c’est qu’il n’y a plus que le néant. C’est l’espérance qui est attaquée, mais Thérèse continue de s’accrocher à Jésus. Et après avoir raconté dans le Manuscrit C cette épreuve, elle écrit :

Ma Mère bien-aimée, je vous parais peut-être exagérer mon épreuve, en effet si vous jugez d’après les sentiments que j’exprime dans les petites poésies que j’ai composées cette année, je dois vous sembler une âme remplie de consolations et pour laquelle le voile de la foi s’est presque déchiré, et cependant… ce n’est plus un voile pour moi, c’est un mur qui s’élève jusqu’aux cieux et couvre le firmament étoilé… Lorsque je chante le bonheur du Ciel, l’éternelle possession de Dieu, je n’en ressens aucune joie, car je chante simplement ce que je veux croire.

Ms C 7v°

Docteur de l’Église, Thérèse nous encourage à persévérer dans la foi ; mais qu’est ce qui nourrit sa foi ? Ce qui nourrit sa foi, c’est ce qu’aborde l’Évangile : la semence qui est jetée en terre.

Le verset de l’Alléluia que nous avons entendu nous interprète déjà la parabole en reprenant d’autres paroles de Jésus : “La semence est la Parole de Dieu, le semeur est le Christ, celui qui le trouve demeure pour toujours. » 

Il s’agit d’accueillir en nous la Parole de Dieu. Il s’agit de la laisser être semée en nous, comme il s’agit pour nous de la semer. Si cette semence peut porter du fruit en nos cœurs, elle peut porter du fruit dans le cœur de tout homme. Il s’agit donc de coopérer à l’œuvre du semeur en nous mettant nous aussi à semer la Parole de Dieu. 

Et les deux paraboles que nous entendons ce dimanche nous disent la puissance qu’il y a à l’intérieur même de la parole de Dieu. La Lettre aux Hébreux nous dira « qu’elle est efficace la parole de Dieu, plus acérée qu’un glaive à deux tranchants, qu’elle pénètre jusqu’aux jointures des moelles et des os, et qu’elle met tout à nu » (He 4,12). La parole de Dieu est puissante, à condition qu’elle soit reçue pour qu’elle puisse porter du fruit. Et nous avons en tête la parabole du semeur qui ouvre ce chapitre 4 dont nous lisons la fin, la parabole du semeur, qui nous dit comment la parole de Dieu peut être étouffée ou peut être empêchée de pousser. Il s’agit de l’accueillir avec foi, c’est-à-dire avec confiance en celui qui parle, et que nous prenions au sérieux ce qui nous est dit…

Dans une lettre à Céline, une lettre assez surprenante à cause de la liberté avec laquelle Thérèse interprète l’Écriture Sainte, la lettre 165 qui date de juillet 1894, Thérèse écrit ceci :

[Jésus] disait avec une ineffable tendresse : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure. » Garder la parole de Jésus, voilà l’unique condition de notre bonheur, la preuve de notre amour pour Lui. Mais qu’est-ce que cette parole ?… Il me semble que la parole de Jésus, c’est Lui-même… Lui Jésus, le Verbe, la Parole de Dieu !… [   ]


Jésus nous apprend qu’Il est la voie, la vérité, la vie. Nous savons donc quelle est la Parole que nous devons garder ; comme Pilate nous ne demanderons pas à Jésus : « Qu’est-ce que la Vérité ? » Nous la possédons, la Vérité. Nous gardons Jésus dans nos cœurs !…

LT 165 à Céline 7 juillet 1894

La première chose est donc de garder cette parole, de la garder par cœur. D’où l’importance de lire et de relire, pas seulement dans des petits missels passagers ou sur des écrans, de lire dans un vrai livre, la Bible, de lire la Parole de Dieu. Pas d’abord pour comprendre tout ce qui est écrit : d’abord pour la mémoriser ; c’est l’Esprit-Saint qui nous la fera comprendre au bon moment. 

Cette Parole de Dieu nécessite de notre part la confiance, la foi : que nous osions croire ce que dit Jésus, et que ce que nous croyons ait des conséquences sur notre manière d’être, de vivre, d’agir, pour que nous puissions plaire à Dieu comme nous l’avons entendu dans la deuxième lecture. « Notre ambition, c’est de plaire au Seigneur. » Et il n’est pas possible ici de citer Thérèse sur cette question de plaire au Seigneur parce que c’est presque à toutes les lignes qu’elle en parle. Mais je cite d’autres paroles de Thérèse à propos de la Parole de Dieu et de son importance. C’est dans le Carnet Jaune, ces notes que sa sœur, mère Agnès, a prises à la volée en écoutant Thérèse dans ses derniers mois :

« Que le glaive de l’esprit qui est la parole de Dieu demeure perpétuellement en notre bouche et en nos cœurs. » Si nous sommes aux prises avec une âme désagréable, ne nous rebutons pas, ne la laissons jamais. Ayons toujours « le glaive de l’esprit » à la bouche pour la reprendre de ses torts ; ne laissons pas aller les choses pour conserver notre repos ; combattons toujours même sans espoir de gagner la bataille. Qu’importe le succès ? Ce que le bon Dieu nous demande c’est de ne pas nous arrêter aux fatigues de la lutte, c’est de ne pas nous décourager en disant : « Tant pis ! il n’y a rien à en tirer, elle est à abandonner. » Oh ! c’est de la lâcheté cela ; il faut faire son devoir jusqu’au bout.

(CJ 6 avril, 2)

En disant cela, Thérèse pense à son rôle de quasi-maîtresse des novices. Mais nous pouvons entendre cette parole par rapport à nous-mêmes car nous pouvons avoir la tentation parfois de baisser les bras en disant : tant pis, ce que le Seigneur me demande, je n’y arrive pas… je laisse tomber. 

Or, il ne s’agit pas de faire ce que Dieu dit, il s’agit que ce que Dieu dit se fasse en nous, avec le consentement de notre liberté. La prière de la Vierge Marie à l’Annonciation n’est pas de dire : J’ai tout compris, Seigneur, je vais faire ce qu’il faut. Elle dit : « Qu’il me soit fait selon ta parole. »

Chez Thérèse, nous voyons sans cesse qu’elle contemple l’œuvre de Dieu et jamais la sienne. 

Enfin, le 9 août, Thérèse revient sur ce thème et elle dit :

Je ne suis pas un guerrier qui a combattu avec des armes terrestres, mais avec « le glaive de l’esprit qui est la parole de Dieu ». Aussi la maladie n’a pu m’abattre, et pas plus tard qu’hier soir je me suis servie de mon glaive avec une novice. Je l’ai dit : je mourrai les armes à la main.

(CJ 9 août, 1)

Eh bien, puissions-nous nous laisser encourager par Thérèse pour oser mettre très sérieusement notre foi en en Jésus, croire ce qui nous est promis, croire que Dieu agit réellement en nous, croire que, sans que nous le comprenions, la Parole de Dieu porte du fruit. 

Puissions-nous apprendre de Thérèse, et nous laisser encourager par elle, à méditer la parole de Dieu, à la laisser travailler notre cœur pour que nous puissions ici-bas, déjà, plaire à Dieu et en connaître la joie. 

Amen