Dimanche 24 novembre 2024
Solennité du Christ Roi de l’Univers – Année B

Homélie du Père Emmanuel Schwab

1ère lecture : Daniel 7,13-14
Psaume : 92 (93),1abc,1d-2, 5
2ème lecture : Apocalypse 1,5-8
Évangile : Jean 18,33b-37

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Les lectures de ce jour nous font contempler par un certain aspect la royauté du Christ, avec d’abord cette mystérieuse figure du Fils de l’homme dans le Livre de Daniel, qui semble être associée au mystère de Dieu ; un passage de l’Ancien Testament où l’on peut trouver comme les prémices du mystère de la Sainte Trinité et qui nous annonce une royauté qui ne sera pas détruite. 

Dans l’Apocalypse de saint Jean, nous avons aussi une contemplation de Jésus-Christ, le témoin fidèle, le premier né des morts, le prince des rois de la terre qui nous a délivré de nos péchés par son sang et qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père. C’est bien par la croix, par sa mort sur la croix un jour du temps, que Jésus a définitivement accompli notre Salut et instauré le Royaume en sa personne, présent dans notre monde. 

Tout est définitivement joué, mais il s’agit pour chaque homme et pour toute l’humanité d’accueillir ce Salut et d’accueillir ce Royaume. Et accueillir le Royaume de Dieu, c’est accueillir la royauté du Christ. 

Enfin, dans l’Évangile, Jésus donne à comprendre à Pilate que sa royauté n’est pas du même ordre que la royauté des grands de la terre : « Ma royauté n’est pas d’ici » ; mais Jésus se dévoile cependant bien comme roi. 

Il y a bientôt un siècle, à la fin de l’année sainte 1925, le pape Pie XI a institué la fête du Christ Roi dans son Encyclique Quas Primas, datée du 11 décembre. Le pape médite sur cette royauté du Christ, non seulement une royauté spirituelle qui peut se jouer en la personne de chaque chrétien, mais une royauté qui doit aussi transformer notre monde et “imprimer sa patte”, pourrait-on dire, sur notre monde. 

Je vous lis deux courts extraits de cette encyclique :

Si les hommes venaient à reconnaître l’autorité royale du Christ dans leur vie privée et dans leur vie publique, des bienfaits incroyables — une juste liberté, l’ordre et la tranquillité, la concorde et la paix — se répandraient infailliblement sur la société tout entière. […]

Et un peu plus loin il écrit :

Si les princes et les gouvernants légitimement choisis étaient persuadés qu’ils commandent bien moins en leur propre nom qu’au nom et à la place du divin Roi, il est évident qu’ils useraient de leur autorité avec toute la vertu et la sagesse possibles. Dans l’élaboration et l’application des lois, quelle attention ne donneraient-ils pas au bien commun et à la dignité humaine de leurs subordonnés ! (n°14)

On peut penser que le pape Pie XI était un doux rêveur. On peut penser aussi que c’était un homme prophétique… En tout cas, pour qu’il se trouve des gouvernants qui aiment le Christ et qui cherchent à gouverner en s’inspirant de l’autorité du Christ, la seule solution, c’est que des chrétiens s’engagent dans la vie politique, non pas pour ensuite faire comme tout le monde, mais pour continuer d’y être chrétiens. 

62 ans après l’encyclique du pape Pie XI avait lieu à Rome un synode des évêques sur les laïcs fidèles du Christ. Le saint pape Jean-Paul II a ensuite publié une exhortation apostolique très belle, Christifideles laici, au numéro 42 de laquelle nous lisons ceci :

Pour une animation chrétienne de l’ordre temporel, dans le sens que nous avons dit, qui est celui de servir la personne et la société, les fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la « politique », à savoir à l’action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun. Les Pères du Synode l’ont affirmé à plusieurs reprises : tous et chacun ont le droit et le devoir de participer à la politique ; cette participation peut prendre une grande diversité et complémentarité de formes, de niveaux, de tâches et de responsabilités. Les accusations d’arrivisme, d’idolâtrie du pouvoir, d’égoïsme et de corruption, qui bien souvent sont lancées contre les hommes du gouvernement, du parlement, de la classe dominante, des partis politiques, comme aussi l’opinion assez répandue que la politique est nécessairement un lieu de danger moral, tout cela ne justifie pas le moins du monde ni le scepticisme ni l’absentéisme des chrétiens pour la chose publique.

A l’inverse, la parole du Concile Vatican II est des plus significatives : « L’Église tient en grande considération et estime l’activité de ceux qui se consacrent au bien de la chose publique et en assument les charges pour le service de tous » (Gaudium et spes, 75). (n°42) En célébrant le Christ Roi de l’Univers, l’Église nous interpelle, chacun, sur la manière dont nous regardons la vie de notre société et sur la manière dont nous nous y engageons pour que ce Royaume de Dieu grandisse dans la société des hommes. Lorsque l’Église parle sur des questions de société, elle ne réclame pas quelque chose de particulier pour les chrétiens. Elle parle pour le bien de tous les hommes, en méditant sur ce que Dieu a révélé en Jésus-Christ, et de lui, et de l’homme. L’Église, disait le saint pape Paul VI, est experte en humanité (Populorum progressio n°13). Et lorsque le chrétien cherche à apporter avec intelligence, sagesse, prudence, audace, l’Évangile dans la vie publique, c’est l’ensemble de la société qui s’en trouve meilleure, qui s’en trouve bonifiée. 

Nous ne réclamons rien pour nous-mêmes : nous cherchons à apporter de la part de Dieu le bien de l’homme qui découle du salut en Jésus-Christ. 

Pour cela, il nous faut d’abord être convaincus que cette royauté de Jésus est une bonne chose. Pour cela, il s’agit d’abord que le Seigneur règne dans nos vies et que toute notre vie cherche à répondre à son amour, cherche à répondre à cette royauté. 

Thérèse peut nous y aider. Ceux qui, parmi vous, fréquentent un peu les écrits de Thérèse, savent la relation très particulière qu’elle entretient avec son papa Louis, qu’elle appelle « mon Roi chéri, mon petit Roi ». Et Louis, qui a donné des surnoms à toutes ses filles, appelle Thérèse « sa petite reine ». Et il y a entre eux une très grande complicité, d’autant plus que Thérèse est la petite dernière. 

Ce qui est intéressant, c’est de voir comment Thérèse vit la relation à son papa : c’est une relation pleine d’amour et de délicatesse qui se vit dans la famille Martin. Et Thérèse a très tôt compris que l’amour paternel, ainsi que l’amour maternel, était un lieu de paix, un lieu de consolation, un lieu de grâce. Dans une lettre de Zélie, sa maman — donc Thérèse a moins de quatre ans et demi puisque Zélie est morte quand Thérèse avait quatre ans et demi — elle raconte ceci à propos de Thérèse :

C’est une enfant qui s’émotionne bien facilement. Dès qu’elle a fait un petit malheur, il faut que tout le monde le sache. Hier ayant fait tomber sans le vouloir un petit coin de la tapisserie, elle était dans un état à faire pitié, puis il fallait bien vite le dire à son Père ; il est arrivé quatre heures après, on n’y pensait plus, mais elle est bien vite venue dire à Marie : « Dis vite à Papa que j’ai déchiré le papier. » Elle est là comme un criminel qui attend sa condamnation, mais elle a dans sa petite idée qu’on va lui pardonner plus facilement si elle s’accuse. (Ms A 5v)

Thérèse a très tôt compris que l’amour de son Roi chéri est tel qu’il y a toujours de la miséricorde dans son cœur. Ce qui fait qu’à la fin de sa vie en juillet 1887, dans une lettre à l’abbé Bélière, elle lui raconte ceci : Je voudrais essayer de vous faire comprendre par une comparaison bien simple combien Jésus aime les âmes même imparfaites qui se confient à Lui : Je suppose qu’un père ait deux enfants espiègles et désobéissants, et que venant pour les punir il en voit un qui tremble et s’éloigne de lui avec terreur, ayant pourtant au fond du cœur le sentiment qu’il mérite d’être puni ; et que son frère, au contraire, se jette dans les bras du père en disant qu’il regrette de lui avoir fait de la peine, qu’il l’aime et que, pour le prouver, il sera sage désormais, puis cet enfant demande à son père de le punir par un baiser, je ne crois pas que le cœur de l’heureux père puisse résister à la confiance filiale de son enfant dont il connaît la sincérité et l’amour. Il n’ignore pas cependant que plus d’une fois son fils retombera dans les mêmes fautes mais il est disposé à lui pardonner toujours, si toujours son fils le prend par le cœur… Je ne vous dis rien du premier enfant, mon cher petit frère, vous devez comprendre si son père peut l’aimer autant et le traiter avec la même indulgence que l’autre… 

Oui, Thérèse a très tôt compris — et elle l’a approfondi toute sa vie — à travers l’amour parental, que cette royauté du Christ, c’est une royauté d’amour miséricordieux qui fait qu’il n’y a rien à craindre de ce Roi des rois et Seigneur des seigneurs, comme l’appelle le Livre de l’Apocalypse (19,16) ; mais qu’au contraire il s’agit de l’accueillir généreusement pour qu’il gouverne nos vies et qu’en gouvernant nos vies, nous-mêmes, en nous engageant dans notre monde nous puissions permettre à ce règne du Christ de transformer progressivement notre pauvre monde, si blessé par la haine, la violence, le péché. 

Dans une autre lettre à son papa, avant qu’elle n’entre au Carmel, Thérèse lui dit :

Oui, je resterai toujours ta petite reine et je tâcherai de faire ta gloire en devenant une grande sainte. […]

Et qu’a-t-elle comme modèle pour devenir une grande sainte ? Elle termine cette courte lettre en disant :

la petite reine à Papa […] tâchera de faire son possible pour ressembler un peu à son Roi.

En cette fête du Christ Roi, prions non seulement pour tous ceux qui ont la charge de gouverner les nations, mais prions aussi pour que dans nos familles, cette royauté du Christ soit vécue par chacun et par la famille toute entière.

Amen

Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire