Dimanche 28 juillet 2024
17ème dimanche Pendant l’Année – Année B
1ère lecture : 2 Rois 4,42-44
Psaume : 144 (145),10-11,15-16,17-18
2ème lecture : Éphésiens 4,1-6
Évangile : Jean 6,1-15
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Pendant cinq dimanches, nous interrompons la lecture plus ou moins continue de l’évangile de saint Marc pour lire presque en son intégralité le chapitre 6 de saint Jean, ce long chapitre qui commence par la multiplication des pains et qui se poursuivra par le grand discours du pain de vie dans la synagogue de Capharnaüm — au passage, il est peut-être bien de prendre le temps à un moment ou à un autre de lire en entier ce chapitre.
Depuis le jardin d’Eden où se trouvent une multitude d’arbres divers dont le fruit est beau à voir et bon à manger, jusqu’au festin messianique annoncé par le prophète Isaïe, « festin de viande grasses et de vin capiteux » (Is 25,6) — ce festin messianique où nous découvrirons que c’est Dieu lui-même qui se donne en nourriture —, en passant par l’abondance des vivres qu’il y a en Égypte, en passant par la manne, nourriture de misère au désert, en passant par les festins qu’offriront David ou Salomon à l’occasion de l’arrivée de l’Arche à Jérusalem ou de la construction du Temple, en passant par la multiplication des pains, par l’eucharistie… la Bible est une grande histoire de nourriture d’un bout à l’autre. Pourquoi ? Parce que Dieu est le Vivant qui fait vivre. Pour nous parler de cette vie que Dieu donne, la Bible nous montre Dieu qui nourrit car nous avons besoin de nourriture pour vivre. Et cette nourriture vient de Dieu puisque tout ce que nous mangeons, nous le trouvons dans la Création. C’est pour cela que nous bénissons Dieu avant de prendre notre repas.
Mais puisque Dieu a tout créé et qu’il a tout créé par son Verbe, pourquoi Jésus a-t-il besoin de quelque chose pour nourrir cette foule ? Ne pouvait-il pas la nourrir en partant de rien, lui par qui tout a été fait ?
Thérèse se pose cette question à un autre propos, mais sa réflexion est éclairante. C’est dans une lettre à Céline, la lettre 135, où elle dit : Autrefois Jésus disait à ses disciples […] : « A la vérité la moisson est abondante mais le nombre des ouvriers est petit ; demandez donc au maître de la moisson qu’Il envoie des ouvriers. » Quel mystère !… Jésus n’est-Il pas tout-puissant ? les créatures ne sont-elles pas à celui qui les a faites ? Pourquoi Jésus dit-Il donc : « Demandez au maître de la moisson qu’Il envoie des ouvriers » ? Pourquoi ?… Ah ! c’est que Jésus a pour nous un amour si incompréhensible qu’Il veut que nous ayons part avec lui au salut des âmes. Il ne veut rien faire sans nous.
Cette découverte de Thérèse à propos des ouvriers envoyés à la moisson, nous pouvons analogiquement la décalquer sur cette multiplication des pains. Pourquoi Jésus demande la coopération des apôtres ? Parce qu’il ne veut rien faire sans nous. Et il va accueillir ce don dérisoire que fait ce jeune garçon : ces cinq pains et ces deux poissons pour cette foule d’environ 5000 hommes. Il accueille ce don dérisoire par rapport à l’enjeu, parce qu’il ne veut rien faire sans nous, parce qu’il veut nous associer à son œuvre de salut, parce qu’il veut que nous ne soyons pas seulement des sauvés, mais qu’avec lui nous soyons aussi sauveurs, non par notre propre grâce, mais par la grâce que nous recevons du Christ.
Et comme ce jeune garçon va se laisser dessaisir de ses cinq pains et deux poissons pour les confier au Seigneur d’une manière qui peut apparaître folle, — car en effet ce don n’est pas à la hauteur de ce qu’il y a à réaliser —, le Seigneur attend de nous que nous lui apportions ce peu que nous avons pour qu’il puisse nous associer à son œuvre. Le Seigneur Jésus a pour nous un amour si incompréhensible qu’il veut que nous ayons part avec lui au salut des âmes. Il ne veut rien faire sans nous.Que ce soit dans l’éducation des enfants, dans la catéchèse, que ce soit dans le service caritatif des plus pauvres, quel que soit le domaine, Jésus attend que nous lui apportions le peu que nous avons pour qu’il puisse le faire fructifier et que nous puissions contempler son œuvre à laquelle il nous associe. Il s’agit dans la multiplication des pains de nourrir la foule. C’est la nourriture terrestre dont il s’agit, parce que Jésus, nous le voyons dans d’autres Évangiles, a enseigné la foule qui n’a pas eu le temps de manger ; mais il s’agit aussi de la nourriture qui est proprement spirituelle, c’est-à-dire la nourriture dont l’homme a besoin en tant qu’homme. Une des choses qui nous distingue du monde animal, c’est que nous avons besoin d’une nourriture spirituelle, celle qui nourrit le sens de notre existence, qui nous permet de répondre à ces questions fondamentales qui nous habitent : Pourquoi est-ce que moi j’existe ? En vue de quoi est-ce que moi j’existe ? Quel est le sens de ma vie ? Y a-t-il une vie après la mort ? Y a-t-il une bonne manière de mourir ? etc. Cette vie spirituelle est nourrie par de multiples choses : elle est nourrie par tout l’apport de la réflexion qui nous précède, à commencer par les philosophes grecs, bien avant Jésus, toute la littérature, non seulement française, mais de tous les pays, les grands écrivains qui, à travers leurs réflexions, leurs méditations, disent quelque chose du sens de l’existence. Nous avons besoin de cette nourriture et nous avons besoin aussi de la Révélation et de la lecture de la Parole de Dieu. Nous en avons besoin en tant qu’homme et nous ne pouvons pas nous contenter de scroller sur un écran pour voir des vidéos qui ne servent à rien. Nous avons besoin d’accorder du temps à cette nourriture de l’âme.
Thérèse va participer à la nourriture de l’âme de ses sœurs quand elle va se retrouver en position de quasi maîtresse des novices. Et elle a quelques pages très intéressantes où elle livre finalement certains aspects de sa pédagogie. C’est dans le manuscrit C autour des pages 20 ; elle écrit ceci — C’est le style de Thérèse, ne nous laissons pas rebuter :
Lorsqu’il me fut donné de pénétrer dans le sanctuaire des âmes, je vis tout de suite que la tâche était au-dessus de mes forces, alors je me suis mise dans les bras du bon Dieu, comme un petit enfant et cachant ma figure dans ses cheveux, je Lui ai dit : Seigneur, je suis trop petite pour nourrir vos enfants ; si vous voulez leur donner par moi ce qui convient à chacune, remplissez ma petite main et sans quitter vos bras, sans détourner la tête, je donnerai vos trésors à l’âme qui viendra me demander sa nourriture.
Histoire d’une âme, Ms C 22
On trouve quelque chose d’analogue avec cette multiplication des pains. Qu’est-ce que Thérèse apporte ? Elle n’apporte pas cinq pains et deux poissons, mais elle apporte sa personne, sa conversion, sa méditation des Saintes Écritures, son expérience de Dieu et elle apporte tout cela au Seigneur. Mais elle comprend que tout cela est insuffisant. Alors elle demande au Seigneur de faire fructifier cela et ainsi de lui donner ce qu’elle va pouvoir donner à son tour, de même que les apôtres vont apporter ces cinq pains et deux poissons et vont recevoir de Jésus ce qu’ils vont donner à la foule.
Mais relevons une précision intéressante ; Thérèse dit : sans quitter vos bras, sans détourner la tête, c’est-à-dire qu’elle demeure dans la contemplation du Seigneur. Elle demeure dans cette intime union avec Jésus. Et c’est bien cela que le Seigneur attend de nous : que nous puissions lui apporter tout ce que nous sommes, tout ce que nous avons, que nous puissions nous donner vraiment à lui comme lui se donne à nous dans une alliance sponsale. « Ceci est mon corps livré pour vous »… Il s’agit de répondre en voulant aussi nous livrer jusqu’en notre corps comme saint Paul nous le dira dans la Lettre aux Romains : « Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à offrir votre corps en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte » (Rm 12,1).
Il s’agit de nous donner tout entier à lui pour qu’il puisse faire fructifier ce don et que, tout en gardant les yeux fixés sur Jésus qui est à l’origine et au terme de notre foi, dit la lettre aux Hébreux (12,2), nous puissions donner à nos frères ce que Jésus nous donnera pour eux.
Oui, Jésus a pour nous un amour si incompréhensible qu’il ne veut rien faire sans nous.
Amen