Dimanche 22 septembre 2024
25ème dimanche Pendant l’Année – Année B

1ère lecture : Sagesse 2,12.17-20

Psaume : 53 (54),3-4,5, 6.8

2ème lecture : Jacques 3,16 – 4, 3

Évangile : Marc 9,30-37

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Silence…

Le silence tient une part importante dans la vie de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Elle en parle à de nombreuses reprises, disant combien le Seigneur comprend sa prière quand elle-même est silencieuse, parce qu’elle ne sait comment exprimer ce qui se passe en son âme. Le silence pour ne pas brouiller l’espace avec des paroles inutiles, le silence pour ne pas dévoiler la faute de son frère… Le silence de Jésus aussi, que Thérèse interprète comme une familiarité de Jésus avec elle : Jésus qui ne se met pas en frais pour elle, parce qu’il est chez lui chez elle. Et nous savons comment Bernanos évoquait comme une conspiration contre le silence, dans notre société contemporaine, comme s’il était dangereux de demeurer en silence.

Nous avons besoin du silence pour entendre la Parole de Dieu.

Nous avons besoin du silence pour “entrer en nous-mêmes” comme l’enfant prodigue.

Nous avons besoin du silence pour écouter le “murmure de la brise légère” d’Élie (Cf.1 R 19,12).

Nous avons besoin d’offrir en notre société des lieux et des espaces de silence.

Mais il y a d’autres sortes de silences, et ce court passage d’Évangile fait apparaître deux silences : le silence de la peur et le silence de la honte. Ces deux silences existent aussi dans nos vies. Jésus annonce une nouvelle fois sa Passion. L’Évangile nous dit : « les disciples ne comprenaient pas ses paroles et ils avaient peur de l’interroger ». C’est un peu la politique de l’autruche… il vaut mieux ne pas savoir. Il vaut mieux laisser les choses incomprises, laisser les choses cachées, plutôt que d’entrer dans le Mystère et de comprendre à quoi nous allons être exposés. Car ce Mystère Pascal du Christ est présent, si nous regardons bien, en toute vie humaine. Aucune vie n’est épargnée par l’épreuve, par la souffrance. Comment allons-nous la vivre ? Allons-nous la vivre sans Dieu, sans le Christ, par nos propres forces ? Ou bien allons-nous consentir à ce que les épreuves que nous traversons, quelles qu’elles soient, soient le lieu mystérieux du dévoilement de la présence en nos vies du Christ mort et ressuscité ? Oui, il nous faut avoir le courage d’interroger le Seigneur dans toutes nos épreuves. Le courage de confronter nos vies à la Parole de Dieu pour que nous soit révélé comment ce grand mystère de la souffrance et de la mort, Dieu, par Jésus, en fait le chemin de la vie.

La première lecture ne nous parle pas tant du Christ lui-même que de toute personne juste qui, par sa justice même, sans qu’elle ne dise rien, sans qu’elle fasse de reproche à quiconque, met en lumière l’injustice d’autres. Je prends souvent cet exemple : nous le savons bien, lorsque à la fin d’un repas nous sommes fatigués, que nous resterions volontiers assis sur notre chaise, voire dans un fauteuil, et que nous voyons les autres s’agiter pour débarrasser et faire la vaisselle… leur comportement fait apparaître notre paresse, sans qu’ils n’aient rien dit. L’attitude du juste révèle l’attitude de l’injuste. Et ainsi, le juste peut susciter une opposition, une contradiction, voire de la violence. C’est tout le thème de ce deuxième chapitre du Livre de la Sagesse, et cela peut nous faire peur, et cela peut nous conduire au silence.

Il y a un deuxième silence : c’est le silence de la honte. « De quoi discutiez-vous en chemin ? Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand ». Voilà leur réaction : savoir qui est le plus grand après que Jésus a annoncé sa Passion. Tout cela décrit notre propre vie. Il est long le chemin pour que nous soyons libérés de cette inquiétude sur nous-mêmes. Il est long le chemin pour que nous puissions puiser dans l’amour que Dieu a pour nous, dans la miséricorde de Dieu, que nous puissions puiser cette assurance d’être à notre place sans nous inquiéter du regard des autres, sans nous inquiéter de savoir si nous sommes plus grands ou plus petits. Le seul regard de miséricorde de Dieu notre Père sur nous nous suffit.

Pourquoi se taisent-ils ? Parce qu’ils ont honte, et nous savons comment la honte peut nous rendre muets. Muets devant Dieu, comme si Dieu ne connaissait pas tout, comme si nous avions quelque chose à apprendre à Dieu. Mais muets aussi devant nos frères et sœurs, lorsque, honteux de notre attitude, nous nous taisons plutôt que de demander pardon, plutôt que de venir nous présenter humbles et pauvres.

Comment sortir de ce double silence de peur et de honte ? Peut-être que la suite de l’Évangile nous donne quelques réponses : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous ». Oui, voilà déjà une réponse à la question que les apôtres se posaient : se faire le serviteur de nos frères. Et servir, non pas comme Marthe qui fait remarquer qu’elle, elle est au service, et qui voudrait que sa sœur la rejoigne… Mais servir dans le silence, servir humblement, servir sans attendre d’autre joie que celle de servir, d’autre récompense que celle d’être serviteur avec Jésus. « Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa, et leur dit : Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille ». Cet enfant se laisse faire par Jésus. Voici un nouveau modèle qui nous est donné : se laisser faire par Jésus, se laisser placer par Jésus là où il veut, se laisser embrasser par Jésus. L’Évangile ne nous dit pas que cet enfant est sans défaut, que cet enfant est un enfant parfait. C’est juste un enfant qui se laisse faire par Jésus. Et puis en accueillant cet enfant, c’est Jésus que nous accueillons. Jésus l’Enfant Bien-aimé du Père, Jésus qui commence sa vie par être un enfant. Cet enfant qui fascine sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, au point qu’elle en porte le nom. Cet Enfant Jésus présent dans tous les Carmels. Cet Enfant Jésus qui nous dit qui est Dieu.

Notre société ne sait plus accueillir les enfants. L’enfant n’est plus une richesse, n’est plus un don de Dieu, il est devenu un projet, il est devenu l’objet d’un désir. Nous ne savons plus accueillir ces enfants…

Nous sommes même capables de les rejeter, et de les abîmer gravement. Comment pouvons-nous vivre notre vie de chrétien pour redonner à notre société le goût de l’enfance, le goût d’accueillir des enfants, le goût de les aimer avec justesse et de les faire grandir vers la sainteté ?

Oui frères et sœurs, il s’agit pour nous de choisir le bon silence. Le silence qui nous fait accueillir la parole de Dieu, qui nous fait accueillir cette sagesse qui vient d’en haut, pure, pacifique, bienveillante, conciliante, pleine de miséricorde, féconde en bons fruits, sans parti pris, sans hypocrisie, mais de renoncer au silence de la peur et de la honte.

Et sans doute que le sacrement de pénitence et de réconciliation est le lieu de guérison de nos silences mortifères. C’est là que nous pouvons oser rompre le mauvais silence et découvrir que la miséricorde de Dieu nous a précédés et que nous avons eu tort de rester dans ce silence mortifère, que c’est une grâce que de retrouver la parole et de découvrir que le Verbe se fait chair aussi dans nos propres paroles qui reconnaissent la miséricorde source de toute vie.

Amen

Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire