Dimanche 19 janvier 2025
2ème dimanche Pendant l’Année – Année C
Homélie du Père Emmanuel Schwab
1ère lecture : Isaïe 62,1-5
Psaume : 95 (96),1-2a,2b-3,7-8a,9a.10ac
2ème lecture : 1 Corinthiens 12,4-11
Évangile : Jean 2,1-11
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La première lecture nous évoque la dimension nuptiale que Dieu veut entretenir avec son peuple. Lorsque Paul, dans la lettre aux Éphésiens, va méditer sur ce mystère de l’Alliance, il ira même jusqu’à reprendre l’affirmation du deuxième chapitre de la Genèse : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, s’attachera à sa femme et ils seront deux vers une seule chair » ; et il commente en disant : « ce mystère est grand, il s’applique au Christ et à l’Église » (Ep 5,31-33). On pourrait oser affirmer que Dieu crée l’être humain, homme et femme, pour que, dans cette alliance fidèle de l’homme et de la femme, de l’époux et de l’épouse, quelque chose du mystère de Dieu nous soit révélé. Ce n’est pas l’alliance de l’époux et de l’épouse qui nous sert d’image pour penser la relation de Dieu avec son peuple ; c’est la relation de Dieu avec son peuple, de Dieu avec même toute l’humanité, qui est pourrait-on dire la matrice du mariage humain, et l’alliance du Christ et de l’Église qui est la réalité du sacrement de mariage.
Au début de l’évangile de saint Jean, après que nous a été présenté Jésus comme celui sur qui repose l’Esprit, celui qui appelle à le suivre, nous avons cet épisode des noces de Cana où Jésus, d’une certaine manière, se dévoile comme étant le véritable époux. Le signe de cela dans l’Évangile, c’est que le maître du repas, lorsqu’il a goûté le vin, va trouver le marié du jour — parce que c’est normalement le marié qui offre le vin. En donnant ce bon vin, cet excellent vin, Jésus suggère qu’il se situe comme époux. Et sa mère, la Vierge Marie, est située comme femme en face de Jésus époux. Elle retrouvera ce titre de femme au pied de la croix, lorsque Jésus accomplira en sa chair ce que symboliquement il dévoile en ces noces de Cana : qu’il est l’époux qui donne sa vie pour son épouse (Cf. Jn 19,26). Son épouse, c’est l’humanité qu’il rassemble en son corps. Cette humanité en train d’être rassemblée, c’est l’Église. Dans le Concile Vatican II, le premier numéro du grand texte sur l’Église, Lumen Gentium, affirme : « l’Église est dans le Christ comme le sacrement, c’est-à-dire le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain ». En ce dimanche qui se situe dans la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, il nous est bon de contempler à nouveau ce mystère de l’Église qui est l’humanité en train d’être rassemblée dans l’unité du corps du Christ, pour que toute la famille humaine puisse entrer dans la pleine communion de Dieu-Trinité. Le dessein de Dieu, en créant l’homme, c’est de lui faire partager sa vie, de lui faire partager sa joie, sa gloire, son amour.
L’Évangile nous dit que c’est le premier signe : Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. Il n’y a donc aucune raison que Marie demande à Jésus un miracle… D’abord, elle ne lui demande rien, elle lui dit la situation.
Dans son livre « Conseils et souvenirs » sœur Geneviève — à savoir la sœur de Thérèse, Céline — raconte ceci de Thérèse :
Quand elle exprimait son vœu de faire du bien sur la terre après sa mort, elle y mettait cette condition : Avant d’exaucer tous ceux qui me prieront, je commencerai par bien regarder dans les yeux du bon Dieu pour voir si je ne demande pas une chose contraire à sa volonté ! Elle nous faisait remarquer que cet abandon imitait la prière de la Sainte Vierge qui, à Cana, se contente de dire : « Ils n’ont plus de vin. » De même Marthe et Marie disent seulement : « Celui que vous aimez est malade. » Elles exposent simplement leurs désirs sans formuler de demande, laissant Jésus libre de faire sa volonté.
Cette remarque est intéressante pour éclairer notre prière, ou éclairer plus précisément notre manière de nous situer par rapport à Dieu, par rapport à Jésus dans notre prière. Nous ne prions pas pour forcer la main ; nous prions pour exposer notre vie au Seigneur, et en conséquence nous rendre disponibles à ce que Dieu veut faire. Mais que va faire Jésus aux noces de Cana ? Marie n’en sait strictement rien. Sans doute que c’est lui, puisque Joseph semble ne plus être là, qui a les cordons de la bourse familiale… Peut-on aller acheter du vin ?
Jésus, dans sa réponse, se situe sur un autre plan. D’abord, il appelle sa mère femme comme s’il prenait une certaine distance. Et puis il y a cette phrase — vous savez que dans le texte de l’Évangile, il n’y a pas de ponctuation ; la ponctuation est une interprétation — et vous avez entendu comme j’ai lu la réponse de Jésus sous forme interro-négative : « Mon heure n’est pas encore venue ? » Marie ne sait pas ce que va faire Jésus, mais l’acte de foi qu’elle a posé à l’Annonciation, sans bien savoir ce que fait Dieu, elle le pose une nouvelle fois au début du ministère public de Jésus, nous entraînant dans son acte de foi en nous disant : « Faites tout ce qu’il vous dira ». Il y a comme un écho de l’Annonciation : « Qu’il me soit fait selon ta parole », et Marie nous fait entrer dans son acte de foi. En faisant ce que dit Jésus, ceux qui sont là vont voir ce qu’il fait. Et Jésus va ainsi, comme dit l’Évangile, leur manifester sa gloire.
Il s’agit pour nous d’entrer dans cette relation nuptiale à Jésus. L’Église est l’épouse ; Thérèse l’affirme de manière très sobre dans le manuscrit B :
Moi je suis l’Enfant de l’Église, et l’Église est Reine puisqu’elle est ton épouse, ô Divin Roi des Rois… (Ms B, 4r)
Lorsque nous sommes membres de l’Église par le baptême, nous sommes tous dans la situation de l’épouse qui reçoit du Seigneur ce qui va féconder nos vies. Nous sommes tous en situation de réceptivité de la grâce de Dieu, de réceptivité de la Parole de Dieu, de réceptivité des sacrements à travers lesquels le Seigneur agit en nous, pour que nous puissions par Lui, avec Lui, et en Lui, porter du fruit. Et nous avons tous à apprendre à aimer Jésus d’un amour nuptial.
Dans les Écritures, et notamment chez saint Paul, nous avons deux analogies qui se complètent, et nous ne pouvons pas tenir les deux ensemble : c’est l’analogie de la tête et du corps : le Christ est la tête et l’Église est le corps du Christ.
Et puis c’est l’analogie de l’époux et de l’épouse.
Et c’est pour cela, me semble-t-il, que les batailles autour de savoir de quel côté de l’autel il faut que se situe le prêtre, sont des batailles absurdes ; car les deux expriment quelque chose du mystère. Lorsque le prêtre est en tête de l’assemblée, tourné dans le même sens que l’assemblée vers l’autel, c’est la tête et le corps qui sont évoqués. Lorsque le prêtre à l’autel fait face à l’assemblée, c’est l’époux et l’épouse qui sont évoqués. Il n’y en a pas un qui est meilleur que l’autre : tous les deux disent quelque chose du grand mystère et nous ne pouvons pas tout dire en même temps. Mais comprenons bien que nous sommes toujours à la fois membres du corps du Christ, et le Christ est notre tête. Et en même temps, membre de l’épouse qui a à recevoir son époux, et qu’il nous faut aimer le Seigneur de cet amour de tendresse conjugale, que nous soyons homme ou femme.
Oui, le Seigneur veut nous manifester sa gloire. Il veut nous entraîner dans cette alliance, il veut nous donner dès maintenant le bon vin du Royaume. Lorsque nous venons célébrer l’Eucharistie, c’est le Seigneur lui-même qui se donne à nous en nourriture. C’est tout le Royaume qui nous est donné en partage pour que nous puissions poursuivre notre pèlerinage sur la terre, non pas seulement comme des exilés qui aspirent à la Patrie, mais comme déjà des citoyens du Royaume qui témoignent en notre monde que le Christ Sauveur est bien présent, que ce monde est sauvé et que plus nous saurons accueillir la grâce du Christ, plus nous permettrons à ce monde d’accueillir son Salut.
Amen
Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire