Dimanche 23 février 2025

7ème dimanche Pendant l’Année – Année C

Homélie du Père Emmanuel Schwab

1ère lecture : 1 Samuel 26, 2.7-9.12-13.22-23

Psaume : 102 (103), 1-2, 3-4, 8.10, 12-13

2ème lecture : 1 Corinthiens 15, 45-49

Évangile : Luc 6, 27-38

Cliquez ici pour télécharger et imprimer le texte en pdf

Dans une note de 1946, qui est le premier texte du petit livre « La joie de croire », Madeleine Delbrêl écrit ceci :

L’Évangile de Jésus a des passages presque totalement mystérieux. Nous ne savons pas comment les passer dans notre vie. Mais il en est d’autres qui sont impitoyablement limpides.

C’est une fidélité candide à ce que nous comprenons qui nous conduira à comprendre ce qui reste mystérieux.

Si nous sommes appelés à simplifier ce qui nous semble compliqué, nous ne sommes, en revanche, jamais appelés à compliquer ce qui est simple.

Je pense que si je demandais de lever la main à ceux qui n’ont pas compris l’Évangile de ce dimanche, il n’y aurait aucune main qui se lèverait… Nous avons tous très bien compris ce que dit le Seigneur, et nous sommes tous devant la question : comment vais-je faire ? Et le risque n’est pas de compliquer ce qui est simple, mais d’édulcorer ce qui est exigeant.

Nous avons déjà entendu comment, 1000 ans avant Jésus, un homme est capable de miséricorde. Comment David, qui pouvait tuer celui qui s’était fait son ennemi mortel puisque Saül avait tenté de tuer David, renonce à tuer son ennemi et va jusqu’à lui montrer qu’il aurait pu le faire. En prenant la lance de Saül et en la lui montrant à une distance raisonnable, il montre à Saül qu’il aurait pu le tuer et qu’il ne l’a pas fait.

Combien plus nous, qui avons été sauvés du péché et de la mort par le baptême, remplis de la puissance de l’Esprit-Saint qui déploie en nos cœurs la charité de Dieu dans le sacrement de Confirmation et qui, par les autres sacrements de l’Église, voyons sans cesse renouvelé ce don de l’Esprit-Saint, combien plus pouvons-nous vivre ce que demande le Seigneur ! Non pas par nos propres forces, mais par notre union à lui. Nous l’avons entendu dans la deuxième lecture, nous sommes des êtres pétris d’argile venant de la terre, mais nous avons été rachetés et renouvelés pour devenir semblables à celui qui vient du Ciel : « Comme Adam est fait d’argile, ainsi les hommes sont faits d’argile ; comme le Christ est du ciel, ainsi les hommes seront du ciel »

Il s’agit tout simplement pour nous de vivre sur cette terre en citoyen du Ciel. Et il s’agit, au milieu des hommes qui ne connaissent pas Dieu, de vivre en enfants de Dieu en adoptant la manière de vivre de Dieu, en imitant Dieu comme des enfants bien-aimés, comme Paul le dit aux Éphésiens (5,1). Nous pouvons vivre comme Dieu parce que l’Esprit-Saint nous est donné. Mais les dons de Dieu ne sont pas seulement ponctuels, au sens où nous avons été baptisés un jour du temps, au sens où nous avons reçu le sacrement de confirmation un jour du temps, au sens où nous avons reçu le sacrement de mariage un jour du temps, au sens où nous avons reçu le sacrement de l’ordre un jour du temps… Ce qui a été initié un jour du temps continue d’être donné ; mais continuons-nous de le recevoir ? Comment cherchons-nous à être “branchés” sur Jésus en permanence ? C’est cela le secret de la vie chrétienne. Ce n’est pas de tendre sa volonté pour faire mordicus ce que dit le Seigneur ; c’est d’accueillir sans cesse la présence amoureuse et miséricordieuse du Sauveur Jésus, d’accueillir sans cesse la grâce de l’Esprit-Saint qu’il donne, pour désirer, du plus profond de notre cœur, que ce que le Seigneur nous dit, il le réalise en nous.

Thérèse commente assez largement dans le manuscrit C ce passage de l’Évangile. Je ne vous en lis que le début pour vous donner le goût d’aller lire la suite. C’est à la fin du folio 15 et au début du folio 16, je cite :

« Si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on ? car les pécheurs aiment aussi ceux qui les aiment. » St Luc, VI. Et ce n’est pas assez d’aimer, il faut le prouver. On est naturellement heureux de faire un présent à un ami, on aime surtout à faire des surprises, mais cela, ce n’est point de la charité car les pécheurs le font aussi. Voici ce que Jésus m’enseigne encore : « Donnez à quiconque vous demande ; et si l’on prend ce qui vous appartient, ne le redemandez pas. » Donner à toutes celles qui demandent, c’est moins doux que d’offrir soi-même par le mouvement de son cœur ; encore lorsqu’on demande gentiment cela ne coûte pas de donner, mais si par malheur on n’use pas de paroles assez délicates, aussitôt l’âme se révolte si elle n’est pas affermie sur la charité. Elle trouve mille raisons pour refuser [16r°] ce qu’on lui demande et ce n’est qu’après avoir convaincu la demandeuse de son indélicatesse qu’elle lui donne enfin par grâce ce qu’elle réclame, ou qu’elle lui rend un léger service qui aurait demandé vingt fois moins de temps à remplir qu’il n’en a fallu pour faire valoir des droits imaginaires ». MsC 15v-16r Sainte Thérèse prend au sérieux la parole du Seigneur parce qu’elle comprend — elle le dit dans une lettre à Céline — qu’en fait, garder la parole de Jésus, c’est garder Jésus lui-même au fond du cœur ; car Jésus, qui est le Verbe de Dieu, le Verbe fait chair, est tout entier présent dans sa parole. Nous ne sommes pas les disciples d’un livre dont nous essaierions de vivre les maximes. Nous sommes les disciples d’un Vivant, Jésus ressuscité, qui ne cesse de nous parler. Et les Saintes Écritures sont le substrat de cette parole qu’il nous adresse ici et maintenant. Il nous faut donc laisser cette parole descendre au fond du cœur.

Dans 10 jours, nous entrerons en Carême. Nous avons trois années liturgiques différentes : l’année où nous lisons saint Mathieu, où nous lisons saint Marc, où nous lisons saint Luc. Et puis la date de Pâques est variable, ce qui fait que les dimanches qui précèdent le Carême ne sont pas les mêmes chaque année. Et je me dis : pourquoi ne pas recevoir, dans les deux ou trois dimanches qui précèdent le Carême, à travers les lectures, des indications sur ce que le Seigneur veut nous faire parcourir comme chemin pendant le Carême ?

Nous pourrions reprendre cet Évangile, le méditer pour nous demander ce que le Seigneur attend de moi. Que veut-il réformer de ma vie, lui, pour que je sois davantage semblable à son Fils ?

Non seulement Thérèse prend pour elle-même ces paroles au sérieux, mais elle incite ses sœurs à le faire. Sœur Marthe de Jésus, qui est une co-novice de Thérèse, écrit ceci dans les notes préparatoires pour le procès de béatification :

Lorsque j’étais de cuisine, si je refusais de rendre un service à mes sœurs, ou si je paraissais triste, on allait se plaindre à Sr Thérèse de l’E.J., et un moment après, je la voyais arriver avec son aimable sourire, et me reprenait avec beaucoup de douceur : « Que vous me faites de peine, me disait-elle, de vous voir si peu vertueuse ! Si une sœur vient vous demander un service, faites tout ce qui dépend de vous pour le rendre quand bien même cela dût vous coûter beaucoup, mais ne dites jamais non. Si vous voyez bien le bon Dieu en chacune de vos sœurs, jamais vous ne refuseriez rien, au contraire vous iriez au-devant de ce qu’elle désire, voilà la vraie charité.

Elle poursuit :

Pendant les huit années que j’ai eu le bonheur de passer avec la servante de dieu. Je ne l’ai jamais entendu manquer de charité. Au contraire, elle excusait toujours ses sœurs et ne trouvait que du bien à dire d’elle faisaient toujours ressortir leur vertu et leur mérite. Lorsque je lui disais les combats, que quelques-unes me donnaient, elles se gardait bien de me donner raison. Mais l’attribuait à mon manque de vertu. Si je me plaignais à sœur Thérèse de l’Enfant Jésus, que je ne pouvais supporter telle sœur parce que je sentais bien qu’elle ne m’aimait pas parce qu’elle trouvait toujours à redire à tout ce que je faisais. Elle me répondait où est donc votre vertu ? Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, que faites-vous de plus que les pêcheurs, eux aussi aiment ceux qui les aiment. (Notes préparatoires au Procès de Sœur Marthe de Jésus)

Sainte Thérèse prend au sérieux ce que dit le Seigneur, comme une parole vivante prononcée ici et maintenant. Et parce qu’elle cherche à aimer Jésus, elle cherche à faire ce qui lui plaît de manière extrêmement concrète.

Un dernier point, frères et sœurs. La célébration de l’Eucharistie est une : ce que nous mangeons par nos oreilles, notre intelligence et notre cœur à la table de la Parole, c’est la même nourriture que nous recevons à la table du Saint Sacrifice. Dans quel but venons-nous communier, recevoir le Christ qui se donne en nourriture ? Dans le but de vivre ce que nous avons entendu.

Souvenons-nous en tout à l’heure lorsque nous viendrons communier, et que nous répondrons, non pas en murmurant sans desserrer les dents, mais en répondant à haute voix : Amen !

Nous dirons “Amen” au fait que c’est bien le Corps du Christ que nous recevons en nourriture.

Nous dirons “Amen” au fait que nous sommes bien en communion avec l’Église toute entière.

Et nous dirons aussi “Amen” au fait que nous voulons faire UN avec Jésus pour vivre ce qu’il nous demande.

En venant communier tout à l’heure, nous dirons notre détermination à vivre effectivement l’Évangile que nous venons d’entendre.

Amen

Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire