Publié le 5 mars 2025
Dimanche 2 mars 2025
8ème dimanche Pendant l’Année – Année C
Homélie du Père Emmanuel Schwab
1ère lecture : Siracide 27,4-7
Psaume : 91 (92),2-3,13-14,15-16
2ème lecture : 1 Corinthiens 15,54-58
Évangile : Luc 6,39-45
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Pour le troisième dimanche consécutif, nous lisons ce qu’on appelle le Sermon dans la plaine, au chapitre 6 dans l’Évangile de Luc, qui commençait par les béatitudes et les malédictions.
Dimanche dernier, nous entendions l’appel à un amour qui va jusqu’au bout de l’amour, qui va jusqu’à l’amour des ennemis, et l’enseignement de Jésus se terminait par : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux ». Les paroles que nous entendons aujourd’hui sont la suite de ce que Jésus enseigne.
Il nous faut bien comprendre, avec l’apôtre Paul, que, par le baptême, s’est joué quelque chose de radicalement nouveau dans notre vie. Quand je parle du baptême, je veux parler de l’ensemble des trois sacrements de l’initiation chrétienne : baptême, confirmation, eucharistie ; ces sacrements par lesquels nous entrons dans une nouvelle relation à Dieu, une relation filiale puisqu’il nous adopte comme ses propres enfants. Il nous rend membre du Fils unique, le Christ Jésus. Par la confirmation, nous recevons la plénitude du don de l’Esprit-Saint qui répand en nos cœur la charité de Dieu, et par le sacrement de l’Eucharistie, cette communion à Jésus dans l’Esprit est sans cesse renouvelée, sans cesse nourrie. C’est ainsi que nous sommes passés de la mort à la vie. C’est ainsi que nous partageons la victoire de Jésus sur le péché et sur la mort. C’est ainsi que nous sommes rendus capables d’être miséricordieux comme notre Père des Cieux est miséricordieux. C’est pour cela que l’Église demande à ceux qui se préparent à devenir prêtres qu’ils aient reçu le sacrement de la confirmation en plus du baptême. C’est pour cela que l’Église demande aux fiancés qui se préparent au mariage, de recevoir le sacrement de la confirmation en plus du baptême, pour pouvoir être remplis des dons de l’Esprit-Saint afin de pouvoir aller jusqu’au bout de l’amour. Ce qui est premier dans notre chemin de vie chrétienne, c’est ce que Dieu a fait pour nous. Lorsque saint Jean, dans sa première Lettre, va comme tenter une définition de l’amour, il va nous dire ceci : « Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés » (1Jn 4,10). Définition étonnante de l’amour. Ce qu’est l’amour, c’est que Dieu nous a aimé le premier ! Et c’est en accueillant cet amour miséricordieux que tout peut se mettre en place. C’est le grand enseignement de sainte Thérèse : ce qui est premier, c’est l’amour miséricordieux de Dieu pour chacun de nous. Et c’est cet amour qui transforme nos vies, c’est cet amour que nous donne l’Esprit-Saint.
L’Esprit-Saint vient ainsi répandre en nos cœurs la charité, comme Paul le dit dans la lettre aux Romains (Rm 5,5). Mais l’Esprit-Saint vient aussi témoigner de Jésus et rendre vivante sa parole. On pourrait dire que c’est l’Esprit-Saint qui fait passer la lettre morte des Écritures Saintes à l’état de Parole vivante qui est prononcé aujourd’hui. C’est aujourd’hui, dans la liturgie, que Jésus dit à chacun de nous : « Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? ». Le Seigneur ne cesse de nous parler. L’Esprit-Saint fait retentir en nos cœurs sa parole, et c’est cette parole qui peut progressivement nous transformer. Et comme le remarque Thérèse dans une lettre à Céline : qu’est-ce que cela veut dire “garder la parole” ? En fait, garder la parole, c’est garder Jésus lui-même, car Jésus est le Verbe de Dieu qui s’est fait chair (Cf. LT 165). Garder Jésus… c’est lui le bon arbre qui donne de bons fruits. C’est par Lui, avec Lui et en Lui que nous pourrons donner de bons fruits. C’est par Lui, avec Lui et en Lui que nous pourrons aller vraiment jusqu’au bout de l’amour.Le disciple n’est pas au-dessus du maître dit Jésus, mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître. Nul d’entre nous n’est au-dessus de Jésus. Nul d’entre nous ne sait mieux que Dieu ce qui est vraiment bien. Ce que Jésus nous demande, c’est de devenir des disciples. Et quand Jésus envoie les apôtres en mission, il ne les envoie pas baptiser : il les envoie faire des disciples. C’est à la fin de l’évangile de saint Matthieu : « Chemin faisant, faites des disciples, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Mt 28,19-20). Le seul impératif, c’est : faites des disciples. Être chrétien, c’est être disciple de Jésus, c’est-à-dire écouter sa parole, l’aimer, faire ce qu’il dit, en comprenant que nous pouvons faire ce qu’il dit parce qu’il nous sauve et qu’il nous donne part à son Esprit. Nous ne sommes pas disciples d’un ancien qui a vécu un jour du temps, et qui n’est plus parce qu’il est mort. Nous sommes disciples du Ressuscité qui est aujourd’hui vivant, et aujourd’hui, en interaction avec nous. Lorsque je lis des sages, des anciens temps comme les philosophes grecs, par exemple, je suis devant une sagesse qui a été dite par Sophocle, par Platon, par qui vous voulez, qui est très précieuse. Mais je ne suis pas en train de parler avec Platon : il est mort ! Tandis que je suis en train de parler avec Jésus, que Jésus me parle aujourd’hui et que Jésus interagit dans ma vie. Et tout l’intérêt de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, c’est qu’à travers ses écrits, elle raconte ce que le Seigneur a fait pour elle. La Bible déjà nous raconte ce que Dieu a fait pour son peuple. La Bible nous apprend à déchiffrer comment Dieu intervient dans nos vies et Thérèse fait pareil. Elle voit comment Dieu l’a accompagnée, comment Jésus l’a accompagnée, elle le raconte. Et ainsi elle nous apprend à faire de même. Nous ne sommes pas au-dessus de Jésus. Il s’agit de devenir ses disciples, de nous laisser enseigner par lui.
« Qu’as-tu à remarquer la paille dans l’œil de ton frère, dit Jésus, alors que la poudre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair ». Je crains que parfois ces quelques versets d’évangile soit interprété comme Jésus nous demandant de nous occuper de nos oignons. Ce n’est pas du tout le cas.
Jésus nous dit : alors tu verras clair pour enlever la paille de l’œil de ton frère. Et dans l’évangile de saint Matthieu, il nous dit : « Si ton frère vient à pécher contre toi, va trouver ton frère seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère » (Mt 18,15). Oui, mais dans certaines versions de l’évangile — vous savez qu’on n’a pas le texte écrit directement par saint Mathieu, on a des copies de copies ; il y a différentes copies —, sur certaines copies, on ne lit pas : « Si ton frère a péché contre toi », mais juste : « si ton frère vient à pécher, va, reprend le seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère ».
Jésus répond par là à la question de Caïn qui dit à Dieu de manière arrogante : « Suis-je le gardien de mon frère ? » (Gn 4,9). Oui, répond Jésus. Oui, tu es le gardien de ton frère. Et dans le mariage, vous serez donné l’un à l’autre à travers l’échange de vos consentements pour être le gardien l’un de l’autre, à la fois l’aide, mais aussi le gardien de ce frère, de cette sœur qui vous sera donné comme époux, comme épouse, par Jésus. Le gardien pour vous entraider à cheminer sur un chemin de sainteté. Nous ne pouvons pas nous désintéresser de la manière dont nos frères vivent.
Lorsque Thérèse découvre comment Jésus la sauve dans cette nuit de Noël 1886 où elle découvre qu’en un instant, Jésus a réalisé pour elle ce qu’elle n’a pas pu faire en 10 ans, et elle comprend en même temps que Jésus le fait avec elle, pas sans elle… Elle comprend immédiatement alors que ce que Jésus a fait pour elle, il veut le faire pour tous ; monte alors dans son cœur cet immense désir de travailler avec Jésus pour que tous les hommes soient sauvés. Nous ne pouvons pas nous désintéresser du salut de nos frères, à commencer par ceux qui nous entourent. Mais comment nous aider ? Il ne s’agit pas de nous faire la morale. Il s’agit de nous aider à être disciples de Jésus, c’est-à-dire à écouter ce que dit le Seigneur. Je ne corrige pas mon frère en fonction de moi ; je corrige mon frère en fonction de Jésus… et je ne peux corriger mon frère que si moi je me laisse corriger. Et le Seigneur, pour nous corriger, peut utiliser bien sûr les Écritures Saintes, mais il peut aussi utiliser d’autres personnes, des proches qui nous aiment et qui, avec délicatesse, nous font des remarques pour nous aider à renoncer à tel défaut, à tel péché. Et parfois le Seigneur passe par notre plus fidèle ennemi qui nous envoie à la tête une vacherie qui est parfaitement vraie et juste, et si c’est vrai, cela vient de Dieu. Et si cela vient de Dieu, c’est à recevoir avec action de grâce pour en faire quelque chose, c’est-à-dire pour me convertir. Thérèse va exercer pendant un bout de temps la tâche de maîtresse des novices. Elle décrit cela dans le manuscrit C (20r°-24v°). Je vous lis un extrait de la manière dont elle procède :
De loin cela paraît tout rose de faire du bien aux âmes, de leur faire aimer Dieu davantage, enfin de les modeler d’après ses vues et ses pensées personnelles. De près c’est tout le contraire, le rose a disparu… on sent que faire du bien est chose aussi impossible sans le secours du bon Dieu que de faire briller le soleil dans la nuit…
Or précisément, la nuit il n’y a pas de soleil…
On sent qu’il faut absolument oublier ses goûts, ses conceptions personnelles et guider les âmes par le chemin que Jésus leur a tracé, sans essayer de les faire marcher [23r°] par sa propre voie. Mais ce n’est pas encore le plus difficile ; ce qui me coûte par-dessus tout, c’est d’observer les fautes, les plus légères imperfections et de leur livrer une guerre à mort. J’allais dire : malheureusement pour moi ! (mais non, ce serait de la lâcheté) je dis donc : heureusement pour mes sœurs, depuis que j’ai pris place dans les bras de Jésus, je suis comme le veilleur observant l’ennemi de la plus haute tourelle d’un château fort. Rien n’échappe à mes regards ; souvent je suis étonnée d’y voir si clair et je trouve le prophète Jonas bien excusable de s’être enfui au lieu d’aller annoncer la ruine de Ninive. J’aimerais mille fois mieux recevoir des reproches que d’en faire aux autres, mais je sens qu’il m’est très nécessaire que cela me soit une souffrance car, lorsqu’on agit par nature, c’est impossible que l’âme à laquelle on veut découvrir ses fautes comprenne ses torts, elle ne voit qu’une chose : la sœur chargée de me diriger est fâchée et tout retombe sur moi qui suis pourtant remplie des meilleures intentions.
Je sais bien que vos petits agneaux me trouvent sévère. S’ils lisaient ces lignes, ils diraient que cela n’a pas l’air de me coûter le moins du monde de courir après eux, de leur parler d’un ton sévère en leur montrant leur belle toison salie, ou bien de leur apporter quelque léger flocon de laine qu’ils ont laissé déchirer par les épines du chemin. Les petits agneaux peuvent dire tout ce qu’ils voudront ; dans le fond, ils sentent que je les aime d’un véritable amour, que jamais je n’imiterai Le mercenaire qui voyant venir le loup laisse le troupeau et [23v°] s’enfuit. (Manuscrit C 22v-23v)
C’est cela être miséricordieux, comme notre Père est miséricordieux.
Amen
Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire