Homélie du Père Emmanuel Schwab
1er dimanche de l’Avent – Année B
1ère lecture : Isaïe 63, 16b-17.19b ; 64, 2b-7
Psaume : 79 (80), 2ac.3bc, 15-16a, 18-19
2ème lecture : 1 Corinthiens 1, 3-9
Évangile : Marc 13,33-37
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Les temps liturgiques sont comme des exercices spirituels où l’Église nous invite à nous entraîner sur un aspect de la vie spirituelle. Le temps de l’Avent est consacré à la vigilance, à réveiller en nous l’attente du Jour de Dieu, du Jour du Seigneur : « Il viendra de nouveau dans la gloire pour juger les vivants et les morts », disons-nous dans le Credo. Comment la venue du Seigneur en gloire mobilise-t-elle nos énergies ? Comment les derniers mots du Livre de l’Apocalypse “Maranatha. Amen. Viens, Seigneur Jésus”, et comment le chant de l’anamnèse “Nous attendons ta venue dans la gloire”, comment tout cela éclaire-t-il notre vie ?
Une des dimensions de cette vigilance consiste à raviver notre vie de prière. Car la vie de prière, l’oraison, et en particulier l’oraison silencieuse, est toujours une attente de la venue du Seigneur. Lorsque nous attendons des amis pour un déjeuner ou pour un dîner, que nous sommes impatients qu’ils soient là parce que nous les aimons, que nous les apprécions, nous sommes attentifs au moindre bruit qui pourrait signaler que leur voiture arrive ou qu’ils frappent à la porte… Comment sommes-nous attentifs à la venue du Seigneur ?
Dans le livre d’Isaïe, nous avons entendu cette espérance d’Israël : « Ah! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais ». À travers les prophètes que Dieu envoie et à travers les sacrifices du Temple, Israël perçoit que Dieu déjà répond à cette demande et que Dieu vient par sa Parole. Mais qui pouvait imaginer la venue que nous célébrerons à Noël : le Verbe s’est fait chair, Dieu s’est fait petit enfant, nourrisson. Jésus est né il y a quelque 2000 ans— je ne sais pas si vous êtes au courant ! Nous ne nous préparons donc pas à la naissance de Jésus ; c’est fait. Nous faisons mémoire de sa première venue à Bethléem, dans la chair, pour nous rendre attentifs à sa venue en gloire. Nous revivons d’une certaine manière l’attente d’Israël de la venue du Messie, pour nous disposer à sa venue en gloire. Qu’avons-nous comme moyens ? Eh bien, nous avons entendu dans la deuxième lecture : « Je ne cesse de rendre grâce à Dieu à votre sujet, pour la
grâce qu’il vous a donnée dans le Christ Jésus ; en lui vous avez reçu toutes les richesses, toutes celles de la parole et de la connaissance de Dieu ».
Ceci nous donne des indications : Nous avons reçu comme richesse la Parole de Dieu ; encore faut-il prendre le temps de la lire, de l’écouter, de la méditer. Voilà un bel exercice pour le temps de l’Avent.
Vous avez reçu la connaissance de Dieu. La connaissance, qui éclaire notre intelligence, mais le mot “connaître”, dans la Bible ; signifie à la fois connaître et aimer… Comme le livre de la Genèse nous dira que Adam connut Ève, son épouse. C’est une connaissance amoureuse. Nous pouvons déployer notre connaissance du mystère de Dieu en méditant les Saintes Écritures, mais peut-être aussi en méditant l’enseignement de l’Église — il y a un catéchisme de l’Église catholique paru en 1988 : il n’est pas obsolète et il est intéressant de temps en temps d’y revenir. Et puis dans la magnifique exhortation “C’est la confiance” que le Pape nous a donnée sur sainte Thérèse de l’Enfant Jésus le 15 octobre, nous avons aussi u enseignement qui nous aide à mieux connaître Dieu. Il s’agit donc de raviver notre vigilance. Notre vigilance vers la venue en gloire du Christ.
En fait, nous marchons vers le Royaume. Nous marchons vers l’accomplissement de notre vie, cet accomplissement qui s’appelle la sainteté : elle est notre vocation naturelle et en même temps surnaturelle. Nous avons été créés par Dieu pour partager sa vie et donc être saints comme Dieu est saint. Notre vie devient ainsi comme une anticipation du Ciel. Il nous faut apprendre à vivre notre vie d’homme avec les mœurs du Royaume : c’est tout l’enjeu de l’enseignement du Seigneur dans les Évangiles.
À ce sujet, je fais référence à un des aspects de la vie spirituelle de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus : c’est cette capacité qu’elle a à ne pas attendre que les choses arrivent, pour les vivre de manière anticipée. Vous avez notamment deux exemples, j’en détaille un : celui de la préparation à la première Communion. Thérèse a sept ans. Céline, qui a quelques années de plus, est préparée par Pauline à la première Communion. Elle a sept ans, elle sait qu’elle ne fera sa première Communion que quatre ans plus tard. (C’est au début du XXᵉ siècle que saint Pie X invitera à ce que les enfants communient beaucoup plus tôt.) Et Thérèse écrit ceci : Je pensais que ce n’était pas trop de quatre années pour se préparer recevoir le Bon Dieu… Elle ne dit pas : Je ferai ma première communion plus tard, je pense à autre chose. Non non ! Elle en profite. Quatre années de préparation avec Céline. Un soir, je vous entendis qui disiez qu’à partir de la première Communion, il fallait commencer une nouvelle vie, aussitôt je résolus de ne pas attendre ce jour-là mais d’en commencer une en même temps que Céline… (MsA 25r°)
Magnifique ! Quand je ferai ma première communion, je commencerai une nouvelle vie. Pourquoi attendre ? Je commence maintenant ! C’est la même chose pour son entrée au Carmel où elle voulait rentrer à Noël 1887. Elle n’y rentrera que le 9 avril 1888. Elle est tentée de profiter de ces trois
derniers mois pour jouir de la vie à l’extérieur du Carmel ; elle se dit : non, c’est une tentation. Je vais commencer à vivre quelque chose de la vie du Carmel maintenant.
Il nous faut, frères et sœurs, commencer à vivre quelque chose de la vie du Ciel maintenant, pas demain. Certes, le bon larron se convertit le dernier jour et c’est mieux que pas du tout, mais c’est encore mieux de le faire avant et de commencer maintenant à vivre la vie du Ciel.
Enfin dans l’Évangile, nous avons un appel de Jésus à la vigilance. Deux verbes en grec sont très intéressants :
« Prenez garde, restez éveillés » On nous traduit ici “restez éveillés”. Le verbe grec est amusant, c’est agrupnéô ἀγρυπνέω. “Hupnos”, c’est le sommeil (qu’on retrouve en français dans hypnotique par exemple, hypnose). “Agros”, c’est le champ, la campagne, qu’on retrouve en français dans agraire. ἀγρυπνέω, c’est le sommeil dans le champ, le sommeil dehors, sur le pré. C’est donc en fait une manière de rester éveillé parce qu’on y dort mal, sans doute parce qu’on est berger au milieu de son troupeau et qu’on dort sans tout à fait dormir parce qu’il s’agit de veiller sur les brebis. Donc il s’agit bien à la fois d’être un peu endormi et en même temps d’être vigilant. Ces deux dimensions sont conjointes. Et tout de suite vous songez au Cantique des Cantiques (5,2), et vous avez raison.
Le fiancé : — Je suis entré dans mon jardin, ma sœur fiancée : j’ai recueilli ma myrrhe, avec mes aromates, j’ai mangé mon pain et mon miel, j’ai bu mon vin et mon lait. […]
La fiancée : — Je dors, mais mon cœur veille… C’est la voix de mon bien-aimé ! Il frappe !
Le fiancé : — Ouvre-moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, ma toute pure, car ma tête est humide de rosée et mes boucles, des gouttes de la nuit.
« Je dors, mais mon cœur veille ». Il ne s’agit pas d’avoir une vigilance vis à vis du Seigneur telle que je pense activement, sans cesse, à Jésus, à Jésus, à Jésus… Je dors, mais mon cœur veille. Le Seigneur est là, présent en mon cœur, quelque part. Et je suis attentif à sa venue, notamment quand il se manifeste à travers le déguisement du pauvre, comme disent certains Pères de l’Église. Nous l’entendions dimanche dernier : « J’avais faim, vous m’avez donné à manger. J’avais soif et vous m’avez donné à boire… — Quand, Seigneur ?… — Quand vous l’avez fait, c’est à moi que vous l’avez fait… ».
Le deuxième verbe veiller, c’est le verbe grêgoréô γρηγορέω — le prénom Grégoire vient de là — qui vient d’un autre verbe qui veut dire se tenir debout, se lever, se dresser. Et c’est donc ce qu’on fait quand on sort de son lit, où l’on passe du sommeil à la position éveillée, debout. Veiller, c’est là quelque chose d’actif, une vigilance active et attentive à ce qui se passe. Il s’agit d’être attentif à la venue du Seigneur en gloire. Il s’agit de me préparer : « S’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis. Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »
Cette vigilance vis-à-vis de la présence du Seigneur qui vient doit se décliner dans une vigilance vis-à-vis de notre prochain qui vient aussi. Nous croisons beaucoup de “prochains” dans une journée. Notre vigilance à attendre le Seigneur, nous devons la traduire en une vigilance de charité envers le prochain.
Cette vigilance dans la prière, cette vigilance dans la méditation des Saintes Écritures, nous vérifierons qu’elle est authentique si grandit notre vigilance envers notre prochain, notre attention au prochain, pour le servir comme si c’était le Seigneur.
Quel beau temps que celui de l’Avent !
Engageons-nous résolument, volontairement à la suite du Seigneur pour nous disposer à le recevoir quand il viendra.
Amen