Homélie du Père Emmanuel Schwab

33ème dimanche Pendant l’Année – Année B

1ère lecture : Daniel 12,1-3

Psaume : 15 (16),5.8,9-10, 11

2ème lecture : Hébreux 10,11-14.18

Évangile : Marc 13,24-32

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Chaque année, en cet avant-dernier dimanche de l’année liturgique, nous lisons un passage du chapitre apocalyptique des évangiles synoptiques. Le passage de ce jour est introduit par les mots ajoutés : « Jésus parlait à ses disciples de sa venue ». Mais je vous invite à lire en son entier ce chapitre 13 de Saint-Marc : nous y voyons que Jésus ne parle pas seulement de sa venue à la fin des temps. Le Seigneur est déjà venu dans l’Incarnation. Nous attendons son retour en gloire, et dans l’intervalle, il ne cesse de venir à nous.

Je risque une interprétation : lorsqu’une personne rencontre le Seigneur, lorsque dans sa vie, elle fait l’expérience de l’entrée du Fils de l’homme avec grande puissance et avec gloire — je veux parler de sa conversion —, alors, en effet, le soleil s’obscurcit, la lune ne donne plus sa clarté ; les étoiles tombent du ciel, et les puissances célestes sont ébranlées ! C’est-à-dire que les astres retrouvent leur place et ne sont plus idolâtrés. Pour parler clairement, un chrétien ne laisse plus jamais ses yeux trainer sur un  horoscope. Il attend et reçoit sa vie et son avenir non des étoiles mais de Dieu et de la miséricordieuse Providence de Dieu.

Nous vivons en ce monde, en ce monde douloureux en ce monde plein de détresse, comme nous l’avons entendu et dans la première lecture et dans l’Évangile, nous vivons en ce monde témoin que Dieu a remporté la victoire pour l’homme, cette victoire sur le péché, sur la mort. Nous savons que nous marchons vers une plénitude de vie d’amour, de joie, mais il nous faut prendre les moyens d’avancer vers cette plénitude. Sainte Thérèse apprécie beaucoup la vie sur cette terre, je veux dire qu’elle apprécie beaucoup ce qu’elle voit et à plusieurs reprises, elle note combien elle est heureuse de contempler la nature, de contempler ce qu’elle a sous les yeux quand elle se promène à l’extérieur, de contempler le Ciel, de contempler ce “beau Ciel” qui lui évoque le Royaume. Mais elle comprend aussi qu’en ce monde, il y a de la souffrance. Elle va l’apprendre très tôt, avec un état de santé précaire quand elle est toute petite, mais tout particulièrement, elle va l’apprendre à la mort de sa maman quand elle a quatre ans et demie, avec le départ de sa seconde maman, Pauline, dont elle apprend par surprise l’entrée prochaine au Carmel. Et puis bien d’autres souffrances, notamment les scrupules qu’elle connaîtra après sa maladie. Et elle comprend que la vie sur cette terre est une épreuve, un exil et qu’il ne s’agit pas pour nous de nous attacher aux choses de ce monde, mais qu’il s’agit de nous attacher au Christ.

Elle écrit peu avant son entrée au Carmel à sa marraine, qui est déjà, elle, au Carmel, sœur Marie du Sacré-Cœur :

oh oui ! sur la terre il ne faut s’attacher à rien, pas même aux choses les plus innocentes car elles vous manquent au moment où on y pense le moins. Il n’y a que ce qui est éternel qui peut nous contenter. LT 42 à Sœur Marie du Sacré-Cœur, 21 février 1888

Dans notre société de consommation, il nous est difficile d’échapper au désir et parfois au besoin de nous rassurer avec ce que nous possédons. Et comme les choses évoluent très vite aujourd’hui, nous sommes facilement insatisfaits parce qu’il y a mieux que ce que j’ai acheté hier, dès aujourd’hui

Sur la terre, il ne faut s’attacher à rien…

Quelques mois plus tard, elle écrit à Céline :

Oh ! oui ne soyons qu’un avec Jésus méprisons tout ce qui passe, nos pensées doivent se porter au Ciel puisque c’est là la demeure de Jésus. J’ai pensé l’autre jour que nous ne devions pas nous attacher à ce qui nous entoure puisque nous pourrions être dans un autre lieu que celui où nous sommes, nos affections et nos désirs ne seraient pas les mêmes. (LT 65 à Céline 20 octobre 1888)

Thérèse est marquée par ce qu’on appelle la contingence de notre condition : Je suis ici, mais j’aurais pu être ailleurs. Et donc ce n’est pas cela qui est d’abord important. Ce qui est d’abord important, c’est ce qui ne passe pas. Elle nommera à un moment Jésus : l’immuable (LT 104 à Sr Agnès). Et Thérèse s’attache fortement à Jésus. Jésus nous y invite : « Le Ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas » (Mt 24,35).

Je disais que Thérèse aime contempler la nature. Elle écrit un jour à Céline alors qu’elle est, elle Thérèse, au Carmel et que Céline est dans le monde et voyage : Céline, tu dois être bien heureuse de contempler la belle nature, les montagnes… les rivières argentées, tout cela est si grandiose, si bien fait pour élever nos âmes… Ah ! petite sœur, détachons-nous de la terre, volons sur la montagne de l’amour où se trouve le beau Lys de nos âmes… Détachons-nous des consolations de Jésus, pour nous attacher à Lui !… (LT 105 à Céline 10 mai 1890) En ce monde dont la figure passe, en ce monde plein de détresse, en ce monde où tant de gens n’ont pas ce qu’il faut pour vivre en ce monde, ou il y a tant de violences par des guerres, mais aussi par ce qu’on pourrait rappeler de la violence de proximité, dans nos sociétés de consommation où la pauvreté semble augmenter pour un certain nombre, dans ce monde-là, nous sommes témoins qu’il y a un salut. Et ce salut ne consiste pas à être riche en ce monde, mais ce salut consiste à accueillir le Royaume et à le vivre. Nous parlons souvent de la pauvreté matérielle, mais que faisons-nous de la pauvreté spirituelle ? Il ne s’agit pas seulement d’avoir un toit, un travail et à manger pour être dans une vie pleine et entière… Nous sommes des êtres de chair et de sang, mais nous sommes aussi des êtres spirituels et nous avons autant besoin de nourriture spirituelle que de nourriture corporelle. Comment accompagnons-nous, comment rejoignons-nous, non seulement les pauvretés matérielles, mais aussi les pauvretés spirituelles ? Comment cherchons-nous, envoyés par Jésus, partant de Jésus, à répondre à la quête spirituelle de nos contemporains ? Et n’imaginons pas que parmi les plus pauvres, les plus démunis, cette question soit une question secondaire ? Dans une tournée-rue que je faisais à Paris avec l’association « Aux captifs, la libération » un jour, un des hommes que nous rencontrions presque chaque semaine me dit : « Vous êtes prêtre, vous ? ». Je dis : « Oui ». Il me dit : « Pourquoi on souffre ? Et je réponds : « Toi, qu’est ce qui te fait souffrir ? »

Permettez-moi de transmettre sa réponse telle qu’elle a été. Il m’a répondu : « Ma connerie ». Concept spirituel intéressant… Il ne m’a pas dit : « Je ne vois plus ma fille, je ne vois plus la femme avec qui je vivais ». Il ne me dit pas : « Je ne sais pas où aller me laver » ou je ne sais quoi… — Qu’est ce qui te fait souffrir ? — Ma connerie. Et c’est un mot que j’ai entendu plusieurs fois chez des personnes diverses. De quoi cet homme souffrait en premier ? D’une sorte de non-sens de sa vie, de son agir. Comment rejoignons nous aussi cette pauvreté-là ?

La lettre aux Hébreux nous a fait entendre que le Seigneur attend désormais que ses ennemis soient mis sous ses pieds. Mais qui peut mettre sous les pieds de Jésus ses ennemis ? Nous, frères et sœurs. Nous recevons la grâce de Dieu par Jésus, avec Lui et en Lui ; nous rendons un culte à Dieu par Jésus, avec Lui et en Lui, pour que Dieu, par Jésus, puisse agir en ce monde par nous, avec nous et en nous. Nous sommes ceux par qui le Seigneur peut mettre sous ses pieds tous ses ennemis. Lorsque nous menons dans nos propres vies le combat spirituel, en cherchant à aimer Jésus davantage, à nous laisser transformer par la miséricorde de Dieu, et en cherchant à y répondre par la gratitude de notre charité, nous contribuons à mettre sous les pieds de Jésus tous ses ennemis. Lorsque nous travaillons pour soulager différentes misères en notre monde, lorsque nous travaillons pour davantage de justice sociale, déjà dans notre propre vie, mais aussi peut-être en y contribuant dans la vie de notre entreprise de notre pays, nous contribuons à mettre sous les pieds de Jésus tous ses ennemis. Lorsque nous permettons à un frère, à une sœur, de se tourner vers Jésus, de l’accueillir dans sa vie et de cheminer avec lui, nous contribuons à mettre sous les pieds de Jésus tous ses ennemis.

Oui, nous ne sommes pas démunis pour vivre notre vie, bien au contraire, le Seigneur est là. Thérèse n’hésite pas, dans une lettre à mère Marie de Gonzague, à faire parler Jésus : « Heureux celui qui met en moi son appui, il dispose en son cœur des degrés pour s’élever jusqu’au Ciel. Remarque bien, petit agneau… je ne dis pas de se séparer complètement des créatures, de mépriser leur amour, leurs prévenances, mais au contraire de les accepter pour me faire plaisir, de s’en servir comme autant de degrés, car, s’éloigner des créatures ne servirait qu’à une chose, marcher et s’égarer dans les sentiers de la terre… Pour s’élever, il faut poser son pied sur les degrés des créatures et ne s’attacher qu’à moi seul… Comprends-tu bien, petit Agneau ? » (LT 190 à Sr Marie de Gonzague – 29 juin 1896)

Amen

Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire