Dimanche 1er décembre 2024
1er dimanche de l’Avent – Année C
Homélie du Père Emmanuel Schwab
1ère lecture : Jérémie 33,14-16
Psaume : 24 (25),4-5ab,8-9,10.14
2ème lecture : 1 Thessaloniciens 3,12 – 4, 2
Évangile : Luc 21,25-28.34-36
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La peur, le germe et la prière.
La peur… les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde. Et nous sommes dans un temps où les moyens sont pris avec générosité pour nous faire peur : nous faire peur de maladie, d’écologie, nous faire peur sur le plan économique, nous faire peur avec hélas, de nombreuses guerres et de nombreuses menaces. Et je voudrais méditer quelques instants sur la peur avec une affirmation qui peut vous surprendre : si nous réfléchissons bien, nous n’avons peur que de ce qui n’existe pas. Nous avons peur de ce qui “pourrait” se passer. Lorsque je suis malade, je n’ai pas peur de ma maladie : j’ai mal. J’ai peut-être peur de mourir, mais ce mourir est demain, il n’est pas ce que je suis en train de vivre. Si je suis devant un chien menaçant qui aboie très fort, j’ai peur qu’il me morde. Mais une fois qu’il me mord, je n’ai pas peur : j’ai mal ; j’ai peut-être peur qu’il me morde à nouveau. Ainsi, notre peur dit quelque chose de notre relation à demain ou à tout à l’heure, et l’antidote de la peur, c’est la confiance en Dieu qui fait bien toutes choses et qui nous aime avec bonté. C’est la confiance et rien que la confiance qui nous conduira à l’amour dit sainte Thérèse (LT 197). Profitons de ce temps de l’Avent pour nous laisser dépouiller de nos peurs, regarder ce qui nous fait peur. Et pour toutes ces choses, poser des actes de foi confiante en Dieu.
Le germe… « En ces jours-là, en ce temps-là, je ferai germer pour David un Germe de justice, et il exercera dans le pays le droit et la justice. En ces jours-là, Juda sera sauvé ». Je vous invite à regarder le Christ Jésus, mort et ressuscité, comme ce germe au milieu de notre monde. Et l’Église — qui est cette portion d’humanité en train d’être sauvée en vue que tous les hommes soient sauvés — est à la fois celle qui reçoit ce germe et qui le garde précieusement pour le donner au monde, en même temps qu’elle est elle-même un germe ; l’Église est comme le germe du Royaume. Or un germe, il faut en prendre soin parce que c’est fragile, parce que c’est tout petit, parce que cela doit grandir. D’une certaine manière, il nous faut prendre soin de Jésus dans notre monde. Il nous faut prendre soin de l’Église comme germe du Royaume. Prendre soin de Jésus, c’est d’abord prendre soin de la présence de Jésus en moi. Comment est-ce que je l’accueille ? Comment lui suis-je présent tout au long de ma journée ? Si vraiment le Seigneur vient habiter dans nos cœurs par la foi, comme Paul le dit aux Éphésiens (3,17), en fait, je m’aperçois que souvent le Christ Jésus est bien là en moi, mais c’est moi qui n’y suis pas… C’est moi qui vis comme à l’extérieur de moi-même, au lieu de retrouver cette présence de Christ en moi, mais qui est comme un germe tout fragile.
Comment aidons-nous notre société à recevoir ce germe qu’est Jésus ?
Et puis l’Église comme germe… Ce qui est fragile dans l’Église, c’est la charité fraternelle. Ce qui fait que l’Église est Église, c’est la charité fraternelle. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Jésus. Souvenez-vous au début de son discours après la Cène : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’on vous reconnaîtra pour mes disciples » (Jn 13,35). Le seul signe de reconnaissance que Jésus donne au monde, c’est la charité fraternelle. Quelle chose fragile !
Vous qui venez ici de Montataire pour confier votre paroisse renouvelée à l’intercession de sainte Thérèse, gardez cela en mémoire : votre tâche première, c’est la charité fraternelle, c’est la communion entre vous. Et là-dessus, vous pouvez relire sainte Thérèse, notamment dans le manuscrit C, pour voir comment il s’agit de nous aimer les uns les autres en nous supportant les uns les autres avec charité. On peut aussi aller lire saint Vincent de Paul sur ce qu’il appelle le “support”, c’est-à-dire la manière de nous supporter les uns les autres avec charité. Cette charité fraternelle est un germe fragile, mais qui doit porter du fruit.
La peur, le germe. Enfin, la prière.
« Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste comme un filet. Restez éveillés et priez en tout temps ».
Le « Tenez-vous sur vos gardes », c’est prendre soin de soi, être attentif. Mais pour « Restez éveillés », le verbe grec de l’évangile est intéressant Ἀγρυπνεῖτε, qui vient de ἀγρός, le “champ” en français — qui donne le mot agraire par exemple —, et puis ὕπνος, le sommeil. Le “sommeil dans le champ” : cela évoque le sommeil du berger qui dort dehors au milieu de son troupeau, de telle manière que si le loup survient, il puisse le chasser ou que si quelqu’un vient voler une brebis, il puisse l’en empêcher. C’est donc un sommeil vigilant. Rester éveillés comme si vous dormiez à la belle étoile au milieu d’un troupeau de moutons… Restez éveillés pour que vos cœurs ne s’alourdissent pas dans les beuveries l’ivresse et les soucis de la vie. Ma machine à laver qui est tombée en panne — c’est un souci de la vie, ça ! — est mis au même rang que la beuverie et l’ivrognerie ! Combien là encore, nos difficultés quotidiennes peuvent prendre des proportions démesurées parfois, comme si toute notre vie dépendait de cela, comme si tout notre salut dépendait de cela. Il s’agit de remettre les choses à leur place et de garder notre cœur attentif à la présence de Dieu qui fait bien toutes choses et qui s’occupe de nous.
Le temps de l’Avent est un temps où nous sommes invités à raviver notre vie de prière et Thérèse est une bonne maîtresse des novices pour la prière. D’abord, soyons convaincus de ce qu’elle dit :
C’est par la prière et le sacrifice que nous pouvons seulement être utiles à l’Église. (8 juillet 1897)
Mais que fait Thérèse dans sa prière ? Oh, elle l’explique à plusieurs endroits. Dans une lettre à sa tante, elle lui dit :
Quand je suis auprès du Tabernacle je ne sais dire qu’une seule chose à Notre Seigneur : « Mon Dieu, vous savez que je vous aime. » Et je sens que ma prière ne fatigue pas Jésus, connaissant l’impuissance de sa pauvre petite épouse, Il se contente de sa bonne volonté. (LT 152 à Mme Guérin – 17 novembre 1893)
Le plus important dans la prière, frères et sœurs, c’est l’acte par lequel nous venons nous mettre en prière, que ce soit dans le secret de notre chambre, que ce soit à l’église devant le tabernacle, que ce soit dans une chapelle, dans un oratoire, peu importe ; le plus important, c’est le fait même de m’arrêter et de vouloir me mettre en présence de Dieu, de vouloir me rendre comme passif de ce que Dieu veut faire en moi et que je ne sais pas. Thérèse encore — et elle écrit cela à la fin de sa vie, puisque c’est dans le manuscrit C :
Qu’elle est donc grande la puissance de la Prière ! On dirait une reine ayant à chaque instant libre accès auprès du roi et pouvant obtenir tout ce qu’elle demande.
Et elle commente en disant que, en dehors de l’office divin, elle n’a pas le courage d’aller prendre des prières dans des livres de prière :
Ne sachant laquelle choisir, je fais comme les enfants qui ne savent pas lire, je dis tout simplement au Bon Dieu ce que je veux lui dire, sans faire de belles phrases, et toujours Il me comprend…
« Et toujours il me comprend », quelle confiance a Thérèse en Dieu pour affirmer : Et toujours il me comprend !
Pour moi, la prière, c’est un élan du cœur, c’est un simple regard jeté vers le Ciel, c’est un cri de reconnaissance et d’amour au sein de l’épreuve comme au sein de la joie ; enfin c’est quelque chose de grand, de surnaturel, qui me dilate l’âme et m’unit à Jésus. (MsC 25)
Mais ne croyez pas pour autant que pour sainte Thérèse, la prière est un moment plein de joie et d’allégresse comme si elle était au Ciel, non ! Elle vit sa prière dans ce qu’on appelle la sécheresse. Mais comment est-ce qu’elle interprète cela ?
Juste avant sa prise d’habit, au début de l’année 1889, elle écrit à sa sœur Pauline, qui est en religion sœur Agnès :
Rien auprès de Jésus, sécheresse !… Sommeil !… Mais au moins c’est le silence !… le silence fait du bien à l’âme… […]
Et un peu plus loin :
Puisque Jésus veut dormir pourquoi l’en empêcherais-je ? je suis trop heureuse qu’il ne se gêne pas avec moi, il me montre que je ne suis pas une étrangère en me traitant ainsi, car je vous assure qu’il ne fait pas de frais pour me tenir conversation !… (LT 74 à Sœur Agnès – 6 janvier 1889)
Thérèse a une telle confiance en Dieu, en Jésus, que cette sécheresse qu’elle vit dans la prière — c’est-à-dire que ce qu’elle éprouve, c’est qu’il n’y a personne, qui ne se passe rien — au lieu de dire : Dieu est absent, Dieu ne m’écoute pas, ne m’entend pas, que dit-elle ? Je sais qu’il me comprend toujours et Jésus est en train de dormir et je vais le laisser dormir. Si Jésus dort et ne me dit rien, cela veut dire qu’il a tellement d’affection pour moi qu’il se croit autorisé à faire ainsi.
Quelle confiance ! Et elle va transmettre cela à sa sœur Céline quelques années plus tard. Cinq ans plus tard, elle va compléter en lui écrivant ceci :
Jésus est là, dormant comme autrefois dans la barque des pêcheurs de la Galilée. Il dort… et Céline ne le voit pas car la nuit est descendue sur la nacelle… Céline n’entend pas la voix de Jésus. Le vent souffle… elle l’entend ; elle voit les ténèbres… (c’est à dire que Céline est aux prises à beaucoup de choses qui la perturbent) et Jésus dort toujours ; cependant s’Il se réveillait seulement un instant, Il n’aurait « qu’à commander au vent et à la mer et il se ferait un grand calme », la nuit deviendrait plus claire que le jour, Céline verrait le divin regard de Jésus et son âme serait consolée… Mais aussi Jésus ne dormirait plus et Il est si fatigué !… Ses pieds divins se sont lassés à poursuivre les pécheurs, et dans la nacelle de Céline Jésus se repose si doucement.
Cette sécheresse que Thérèse vit dans la prière, elle l’interprète comme le fait que Jésus dort, que Jésus est si heureux d’être avec elle qu’il peut dormir tranquillement sans être dérangé. Et elle comprend que s’il dort, c’est qu’il est épuisé de courir après la brebis perdue, si bien que cette prière de sécheresse de Thérèse est éminemment missionnaire ! Elle vit dans sa propre vie et dans sa propre chair j’allais dire, cette communion à Jésus dans sa mission.
Frères et sœurs, en ce premier jour de l’Avent qui nous prépare à entrer dans l’année de grâce 2025 de notre Seigneur, prenons la décision de raviver une vie d’oraison fidèle : que chaque jour, nous prenions au moins cinq minutes de vrai silence, téléphone éteint, pour nous mettre en présence de Dieu, en présence de Jésus, en présence de l’Esprit-Saint.
Dieu est toujours là, et toujours là dans sa bonté miséricordieuse pour nous.
Amen
Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire