Homélie du Père Emmanuel Schwab
Dimanche 20 octobre 2024
29ème dimanche Pendant l’Année – Année B
1ère lecture : Isaïe 53,10-11
Psaume : 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22
2ème lecture : Hébreux 4,14-16
Évangile : Marc 10,35-45
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Décidément, les apôtres ont du mal avec Jésus. Après la première annonce de la Passion, Pierre avait dit à Jésus que cela n’allait pas du tout et il s’était fait traiter de Satan (Mc 8,27-33). Après la deuxième annonce de la Passion, les apôtres avaient peur de l’interroger et ensuite ils discutaient entre eux pour savoir qui était le plus grand (Mc 9,30-34). Et après la troisième annonce de la Passion, comme si Jésus n’avait rien dit, Jacques et Jean essayent de se placer.
Il est intéressant pour nous de le remarquer. Cela veut dire que nous pouvons donc ressembler aux apôtres… et nous pouvons alors écouter mieux Jésus.
La demande de Jacques et Jean : « Donne-nous de siéger l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire » peut nous paraître déplacée, orgueilleuse. Ils veulent avoir la primauté par rapport aux autres apôtres ; nous pouvons énoncer beaucoup de raisons de trouver cette demande déplacée. Mais nous pouvons aussi voir dans cette demande le désir d’être au Ciel avec Jésus. Et cela est beau ! Avons-nous le désir d’aller au Ciel, suffisamment pour que ce désir ait des conséquences concrètes dans notre vie quotidienne ? Avons-nous le désir d’être avec Jésus au Ciel et donc d’être avec Jésus aujourd’hui au quotidien à chaque instant ? Et si oui, quels moyens prenons-nous pour être avec Jésus ?
Jésus nous indique un chemin. Il s’agit apparemment de “boire la coupe qu’il va boire”, d’“être baptisé du baptême dans lequel il va être plongé”. Nous pouvons comprendre qu’il évoque là de manière symbolique le mystère de sa Passion et de sa crucifixion, de sa mort sur la croix. Quand Jacques et Jean lui répondent qu’ils le peuvent, sans doute qu’ils ne mesurent pas bien ce qu’ils répondent ou plutôt les implications de leurs réponses. Il en va de même pour nous : nous ne savons pas bien à quoi nous entraîne vraiment notre désir d’être avec Jésus, de suivre Jésus. Et dès que nous rencontrons l’épreuve de la passion et l’épreuve de la croix, quelle que soit la manière dont se présente cette épreuve, il nous faut un surcroît de foi, bien souvent, pour y reconnaître là le chemin par lequel Jésus nous fait passer.
Mais Jésus va plus loin. D’abord, les autres apôtres s’indignent contre Jacques et Jean. Peut-être regrettent-ils de ne pas avoir eu l’idée les premiers ! La réponse de Jésus nous indique par quel chemin nous pouvons avancer pour aller dans la direction du Ciel, pour pouvoir siéger avec lui dans la gloire.
« Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous ». Pourquoi ? « Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude ». Il s’agit donc d’une imitation de Jésus.
Nous pouvons remarquer au passage que Jésus ne méprise pas le fait de vouloir être grand et le fait de vouloir être premier. Il ne conteste pas du tout ce désir : il indique le chemin par lequel nous pouvons devenir grands et par lequel nous pouvons être premier. Ce chemin, c’est celui du serviteur et même de l’esclave. Ce chemin, c’est celui que Jésus lui-même a pris. Au fond, lorsque nous contemplons le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus, nous comprenons bien que le chemin qui a conduit Jésus à la Résurrection et à l’Ascension, c’est la Passion et la Croix. Et nous pouvons ainsi comprendre que le chemin qui nous conduit à la plénitude de la vie, c’est le chemin de la Passion et de la Croix. Il est inutile de rêver un autre chemin, puisque c’est ce chemin-là qu’a pris le Verbe fait chair, le Fils unique du Père, né avant tous les siècles, qui s’est fait homme pour nous les hommes et pour notre salut.
Thérèse comprend bien cela. Elle comprend que l’amour doit s’abaisser. Elle le dit ainsi, dans le manuscrit B :
Pour que l’Amour soit pleinement satisfait, il faut qu’Il s’abaisse, qu’il s’abaisse jusqu’au néant et qu’il transforme en feu ce néant… MsB, 3v
Au père Roulland dans une lettre, elle lui écrit :
Notre unique désir est de ressembler à notre Adorable Maître que le monde n’a pas voulu reconnaître parce qu’Il s’est anéanti, prenant la forme et la nature d’esclave. O mon Frère ! que vous êtes heureux de suivre de si près l’exemple de Jésus…
Et elle s’arrête sur un détail qu’elle interprète comme une imitation du Christ :
En songeant que vous avez revêtu le costume chinois, je pense naturellement au Sauveur se revêtant de notre pauvre humanité et devenant semblable à l’un de nous afin de racheter nos âmes pour l’éternité. LT201 Oui, il s’agit bien d’imiter le Seigneur dans son abaissement, d’imiter le Seigneur qui se fait le serviteur, d’imiter le seigneur qui va laver les pieds de ses disciples, d’imiter le Seigneur au quotidien en se faisant le serviteur de nos frères. C’est le chemin du Ciel. Le chemin du Ciel, c’est celui de la charité concrète vécue par amour pour Jésus et par amour pour nos frères ; par amour pour Jésus, en sachant que, en servant nos frères, nous servons Jésus. Mais aussi par amour pour Jésus, en sachant qu’en servant nos frères comme Jésus les sert, nous leur donnons à comprendre comment Jésus les aime, et nous devenons par notre amour concrètement vécu des témoins de l’amour miséricordieux de Dieu qui nous est donné en Jésus.
Le Christ se révèle toujours d’une manière ou d’une autre lorsque la charité fraternelle est authentiquement vécue. Mais parfois, lorsque l’on rend un service, on ne reçoit aucune gratitude des hommes, aucun merci, aucune attention. Mère Agnès fait remarquer cela à Thérèse lorsqu’elle est déjà malade. Et Thérèse répond :
Moi aussi, je vous assure, j’éprouve le sentiment dont vous me parlez ; mais je ne suis jamais attrapée, car je n’attends sur la terre aucune rétribution : je fais tout pour le bon Dieu, comme cela je ne puis rien perdre et je suis toujours très bien payée du mal que je me donne à servir le prochain. CJ 9 mai 1897
Saint Pierre, dans sa première Lettre, nous invite à nous offrir nous-mêmes en sacrifice. Saint Paul aussi nous y invite. Saint Pierre nous rappelle que nous sommes un sacerdoce saint et, dans la liturgie du baptême, par l’onction que l’on fait pour ceux qui ne sont pas encore confirmés, notamment les nouveaux nés, on leur rappelle que, par cette onction, ils partagent la dignité du Christ, prêtre, prophète et roi. Nous avons entendu dans la deuxième lecture comment Jésus est notre grand prêtre. « Il est le grand prêtre par excellence, un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché ». Membre du Corps du Christ, nous avons aussi à offrir ce monde avec Lui, par Lui, en Lui. Offrir ce monde où nous sommes, à commencer par nous-mêmes, en associant notre offrande à celle du Christ ; ou nous pouvons le dire dans l’autre sens : en entrant dans l’offrande même du Seigneur.
Le Seigneur nous indique ainsi le chemin de la vie. À chaque instant, dans tout ce que nous faisons, nous pouvons orienter notre vie vers le Ciel en nous faisant le serviteur de nos frères, en nous abaissant pour le service de nos frères. Mais cet abaissement n’est pas n’importe quoi. Sainte Thérèse va avoir la charge d’être pratiquement maîtresse des novices, elle en parle assez longuement dans le manuscrit C, et au moment où elle explique qu’il y a de grandes différences entre les âmes et qu’il faut s’adapter à chacune, elle dit :
Avec certaines âmes, je sens qu’il faut me faire petite, ne point craindre de m’humilier en avouant mes combats, mes défaites ; voyant que j’ai les mêmes faiblesses qu’elles, mes petites m’avouent à leur tour les fautes qu’elles se reprochent et se réjouissent que je les comprenne par expérience. Avec d’autres j’ai vu qu’il faut au contraire pour leur faire du bien, avoir beaucoup de fermeté et ne jamais revenir sur une chose dite. S’abaisser ne serait point alors de l’humilité, mais de la faiblesse. MsC 23v
Et cela fait penser à cette parole du pape Pie IX : « La méchanceté des méchants se nourrit de la faiblesse des bons. »
Oui, le service qui nous est demandé, l’abaissement que nous devons vivre à la suite de Jésus ne consiste pas à tolérer tout et n’importe quoi, mais consiste à nous faire le serviteur du bien de nos frères. Et se faire le serviteur du bien de nos frères nécessite parfois une attitude ferme et une parole claire.
Je vous invite, si vous en avez le temps, à aller regarder la prière n°20, la prière pour demander l’humilité qu’a écrite Thérèse. Cette prière commence ainsi :
O Puissant Monarque des Cieux, oui mon âme trouve le repos en vous voyant revêtu de la forme et de la nature d’esclave, vous abaisser jusqu’à laver les pieds à vos apôtres. Je me souviens alors de ces paroles que vous avez prononcées pour m’apprendre à pratiquer l’humilité : « Je vous ai donné l’exemple afin que vous fassiez vous-même ce que j’ai fait, le disciple n’est pas plus grand que le Maître…. Si vous comprenez ceci vous serez heureux en le pratiquant. » Je les comprends, Seigneur, ces paroles sorties de votre Cœur doux et humble, je veux les pratiquer avec le secours de votre grâce.
Amen
Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire