Dimanche 29 septembre 2024

Fête de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus

Homélie du Père Emmanuel Schwab

1ère lecture : Isaïe 66,10-14

Psaume : 102

2ème lecture : 1Jean 4,7-16

Évangile : Matthieu 18,1-4

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Les deux premières lectures nous situent d’abord l’arrière fond qu’il nous faut contempler. Chez Thérèse, nous trouvons cette conviction très grande que c’est Dieu qui a l’initiative et que c’est Dieu qui agit en premier. Et c’est ce que nous fait entendre saint Jean dans cette lettre : « Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés ». La vie de Thérèse est une réponse à Dieu ; tout au long de sa vie, Thérèse vit ce dialogue avec le Seigneur comme une réponse.

Le deuxième point de cet arrière fond qu’évoque la première lecture, c’est toute la dimension de l’Église, peuple de Dieu, corps du Christ, temple de l’Esprit, dont Jérusalem est la figure annonciatrice. Cette Jérusalem que le Seigneur contemple et qu’il invite à la réjouissance et à l’exultation. « Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Car le Seigneur le déclare : “Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve et, comme un torrent qui déborde, la gloire des nations” ». Le dessein de Dieu est bien de rassembler toute l’humanité dans l’unité du corps du Christ, et l’Église est le sacrement de ce rassemblement, les prémices de ce rassemblement.

Je voudrais davantage laisser la parole à Thérèse sur deux points fondamentaux que l’on pourrait reprendre des deux derniers mots du manuscrit C : la confiance et l’amour. L’amour dont elle ne cesse non seulement de parler, mais de vivre, et puis cette confiance qui est la confiance de l’enfant.

Le point que je veux souligner sur l’amour dans la vie de Thérèse, c’est que c’est quelque chose qui grandit. L’amour chez Thérèse se déploie tout au long de sa vie. D’abord, elle apprend l’amour en famille. Elle apprend l’amour, le pardon, de ses parents, de la manière dont elle est aimée. Nous savons comment Thérèse, toute petite — puisque c’est Zélie qui le raconte, donc elle avait moins de quatre ans et demi —, quand elle a fait une bêtise, c’est la première chose qu’il faut raconter à son père quand il rentre, pour qu’il puisse lui pardonner. Elle a vraiment cette expérience concrète, familiale, de ce qu’est l’amour vécu, de ce qu’est la miséricorde vécue. Et, voyons bien aussi qu’entre les sœurs, cet amour fraternel se déploie. Mais d’autres événements vont être comme des étapes fondatrices dans le déploiement de cet amour.

La première grande étape, c’est évidemment celle de Noël 1886, lorsque Thérèse va passer de cette période si douloureuse entre la mort de sa maman et cet événement, cette “deuxième partie de sa vie” comme elle l’appelle, où elle n’arrive pas à se remettre de la mort de sa mère, même si elle la “digère” : elle en garde une sensibilité extrême qui la fait souffrir. Cette conversion qu’elle vit à Noël, elle la décrit donc dans le manuscrit A, et après avoir décrit ce qui s’est passé, elle dit ceci :

Il fit de moi un pêcheur d’âmes, je sentis un grand désir de travailler à la conversion des pécheurs, désir que je n’avais pas senti aussi vivement…

je sentis en un mot la charité entrer dans mon cœur, le besoin de m’oublier pour faire plaisir et depuis lors je fus heureuse !…

Sainte Thérèse Manuscrit A 45v

Je sentis en un mot la charité entrer dans mon cœur. Il semble que là se joue quelque chose de définitif, un événement marquant dans sa vie : la charité qui entre. C’est le don de l’Esprit Saint. C’est peut-être ce qu’aujourd’hui tout un mouvement charismatique appellerait “l’effusion de l’Esprit”, au fond : la charité qui entre dans mon cœur…

Nous sommes à Noël 1886.

Thérèse, le 9 avril 1888 entre au Carmel, et va suivre les étapes de la prise d’habit, de la profession, etc. Nous arrivons neuf ans plus tard, le 9 juin 1895, où Thérèse a cette intuition, lors de la fête de la Sainte Trinité, de s’offrir comme “victime d’holocauste à l’amour miséricordieux”. Lorsqu’elle décrit cet événement un peu plus tard dans le manuscrit A, elle dit ceci :

Cette année, le 9 Juin, fête de la Sainte Trinité, j’ai reçu la grâce de comprendre plus que jamais combien Jésus désire être aimé. […]

Ah ! depuis cet heureux jour, il me semble que l’Amour me pénètre et m’environne, il me semble qu’à chaque instant cet Amour Miséricordieux me renouvelle, purifie mon âme et n’y laisse aucune trace de péché, aussi je ne puis craindre le purgatoire… Manuscrit A 84

Une nouvelle étape : quelque chose qui s’approfondit. Elle disait 9 ans avant : je sentis la charité entrer dans mon cœur. Elle dit maintenant : depuis cet heureux jour, il me semble que l’amour me pénètre et m’environne.

L’amour ne peut que grandir, ou bien s’éteindre. Il ne peut pas rester à un niveau stable.

Avançons d’un peu plus d’un an ; nous sommes le 8 septembre 1896, anniversaire de sa profession. Elle est en retraite, elle écrit cette prière qui lui jaillit du cœur — ce que nous appellerons ensuite le manuscrit B — et elle décrit ainsi sa vocation :

O Jésus, mon Amour… ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’amour …

Oui j’ai trouvé ma place dans l’Église et cette place, ô mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée… dans le Cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’Amour… ainsi je serai tout… ainsi mon rêve sera réalisé !!!…

Comme une nouvelle étape encore : cet amour qui s’approfondit, qui devient sa vocation fondamentale. Non seulement la charité qui entre dans son cœur, l’amour qui la pénètre, mais l’amour qui devient sa vocation : Je serai l’amour.

Tout semble accompli…

Avançons de quelques mois ; nous sommes en juin 1897, trois mois avant la mort de Thérèse. Elle écrit sur commande ce que nous appelons maintenant le manuscrit C. Que lisons-nous ?

Cette année, ma Mère chérie, le bon Dieu m’a fait comprendre ce que c’est que la charité ; avant je le comprenais, il est vrai, mais d’une manière imparfaite.

Extraordinaire ! Voilà encore une nouvelle étape où, dans son humilité, Thérèse dit : « Mais en fait, je n’ai pas encore compris ce qu’était la charité. Voilà… j’ai dit qu’elle était entrée dans mon cœur, j’ai dit qu’elle me pénétrait, j’ai dit qu’elle m’environnait, j’ai dit que ma vocation c’est l’amour. Mais en fait, je n’avais pas tout compris ».

Et je vous invite à relire évidemment ce manuscrit C où elle décrit très concrètement cette charité fraternelle, en choisissant d’aimer la Sœur qui l’insupporte le plus, comme si c’était la personne qu’elle appréciait le plus.

Je note tout ceci pour que nous nous inscrivions vraiment dans un mouvement, dans notre propre vie spirituelle. Il s’agit d’avancer, il s’agit de nous laisser dilater de plus en plus par cette charité qui nous vient de Dieu. Nous n’avons pas fini d’apprendre à aimer, nous n’avons pas fini de découvrir la hauteur, la largeur, la profondeur, comme dit Paul dans les Éphésiens (3,18), de ce qu’est la charité, de ce qu’est l’amour de Dieu et de ce qu’est l’amour qui peut jaillir de notre cœur.

Le deuxième point qui sera plus rapide, c’est l’esprit d’enfance. Ce fameux esprit d’enfance qui est finalement l’esprit de la confiance, et la confiance en la miséricorde de Dieu. Et je note juste deux passages, tous deux de 1896, qui est cette année extrêmement féconde finalement ; alors que Thérèse est entrée dans les ténèbres, c’est une grande fécondité qu’elle vit.

Dans cette lettre à Léonie, la lettre 191, le 12 juillet 1896, elle écrit : Regarde un petit enfant, qui vient de fâcher sa mère en se mettant en colère ou bien en lui désobéissant ; s’il se cache dans un coin avec un air boudeur et qu’il crie dans la crainte d’être puni, sa maman ne lui pardonnera certainement pas sa faute, mais s’il vient lui tendre ses petits bras en souriant et disant : « Embrasse-moi, je ne recommencerai plus. » Est-ce que sa mère pourra ne pas le presser contre son cœur avec tendresse et oublier ses malices enfantines ?… Cependant elle sait bien que son cher petit recommencera à la prochaine occasion, mais cela ne fait rien, s’il la prend encore par le cœur jamais il ne sera puni… […]

Sachons donc le retenir prisonnier, ce Dieu qui devient le mendiant de notre amour. En nous disant que c’est un cheveu qui peut opérer ce prodige, il nous montre que les plus petites actions faites par amour sont celles qui charment son cœur… LT 191 à Léonie 12 juillet 1896

Voilà cet esprit d’enfance, où finalement Thérèse saisit que la miséricorde, l’amour de Dieu est si grand, qu’aucun de nos péchés ne peut atteindre cette taille finalement, et que nous pouvons toujours revenir. Mais il est évident que revenir comme le petit enfant, c’est faire primer l’amour, ça n’est pas estimer que le péché n’est rien… mais c’est au contraire estimer que l’amour est toujours plus grand.

Et puis, dans la lettre 196, à sœur Marie du Sacré-Cœur, dans laquelle elle introduit ce que nous appelons aujourd’hui le manuscrit B, elle lui dit :

Je comprends si bien qu’il n’y a que l’amour qui puisse nous rendre agréables au Bon Dieu que cet amour est le seul bien que j’ambitionne. Jésus se plaît à me montrer l’unique chemin qui conduit à cette fournaise Divine, ce chemin c’est l’abandon du petit enfant qui s’endort sans crainte dans les bras de son Père… […]

Je relis : « ce chemin c’est l’abandon du petit enfant qui s’endort sans crainte dans les bras de son Père. »

Ah ! si toutes les âmes faibles et imparfaites sentaient ce que sent la plus petite de toutes les âmes, l’âme de votre petite Thérèse, pas une seule ne désespérerait d’arriver au sommet de la montagne de l’amour, puisque Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seulement l’abandon et la reconnaissance

Ce n’est rien d’autre que lorsque Jésus nous dit : « si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux » (Mt 18,3-5). Et avant de faire cela, Jésus a pris un enfant et l’a placé au milieu des disciples : l’enfant s’est laissé prendre par les bras de Jésus et s’est laissé placer là où Jésus voulait. Ce qui dit quelque chose de cet abandon, de cette docilité à la volonté du Seigneur.

Puissions-nous vraiment apprendre de Thérèse à ne jamais nous décourager Vous savez que c’est une de ces trois résolutions de sa première communion : je ne me découragerai pas.

À ne jamais nous décourager, mais au contraire, à voir que le meilleur est toujours à venir, puisque nous n’avons pas fini de découvrir la miséricorde de Dieu et la grandeur de l’amour que nous pouvons donner.

Nous n’avons pas fini de devenir des petits enfants pour nous jeter dans les bras de Dieu notre Père.

Amen

Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire