Dimanche 23 juin 2024
12ème dimanche Pendant l’Année – Année B

1ère lecture : Job 38,1.8-11
Psaume : 106 (107), 21a.22a.24, 25-26a.27b, 28-29, 30-31
2ème lecture : 2 Corinthiens 5,14-17
Évangile : Marc 4, 35-41

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« Le Christ est mort pour tous afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux. » En écho à cette affirmation de saint Paul, les premiers mots de la première encyclique du pape saint Jean-Paul II étaient les suivants : Le rédempteur de l’homme, le Christ, est le centre du cosmos et de l’histoire. (Redemptor Hominis §1)

Est-il le centre de mon histoire et comment accueillir davantage Jésus comme le centre de mon histoire, de notre histoire ? 

L’Esprit Saint qui nous est donné ne cesse de rendre témoignage au Christ, à l’intérieur de nous- mêmes. Et c’est pour cela qu’il nous est bon et nécessaire de lire et de relire sans cesse les Évangiles pour que l’Esprit Saint puisse vraiment nous faire découvrir celui qui est au centre, et sur lequel nous devons apprendre à nous centrer. 

Mais cette relation au Christ est une relation qui n’est pas de tout repos, qui demande à être déchiffrée, parce que Jésus n’est pas au bout de nos cinq sens. Nous ne le voyons pas, nous ne le touchons pas ; c’est par la foi que nous avons accès à lui. La foi cependant ouvre des sens spirituels : par la foi, nous pouvons contempler Jésus en méditant les Évangiles, nous pouvons entendre sa parole, nous pouvons nous laisser toucher par lui dans les sacrements de l’Église. 

Et si le Seigneur est vivant, ressuscité, c’est un homme libre qui nous rejoint dans sa liberté. Jésus n’est pas à notre disposition : il est celui qui nous conduit. Dans l’Évangile, saint Marc nous dit que les disciples emmènent Jésus « comme il est » dans la barque. Pourquoi cette précision « comme il est » ? Je tente une interprétation : c’est qu’il s’agit pour nous d’accueillir Jésus tel qu’il nous est décrit, tel qu’il est en lui-même. Nous avons tous la tentation, précisément parce que Jésus n’est pas au bout de nos cinq sens, de nous fabriquer un Jésus à notre mesure. Dans l’Évangile de saint Marc, la première parole qu’un homme adresse à Jésus est la suivante : Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth es-tu venu pour nous perdre ? (Mc 1,24). Jésus dévoile que l’homme qui dit cela est possédé par un esprit impur, et Jésus va chasser cet esprit impur. Or, cet esprit impur risque fort de faire aussi chez nous sa demeure et, parfois, nous pouvons penser la même chose : que nous veux-tu, Jésus de Nazareth es-tu venu pour nous perdre ? C’est alors qu’il nous faut nous laisser dépouiller des a priori que nous pouvons avoir sur Jésus, et revenir à l’Évangile pour que l’Esprit Saint nous dévoile qui est vraiment Jésus, afin que nous le connaissions “comme il est”.

Pourquoi Jésus s’endort au milieu de la tempête ? Parce que si vous avez lu le premier chapitre, notamment le verset 35, vous vous souvenez que Jésus se lève bien avant l’aube pour aller prier dans la montagne. Ce n’est pas un surhomme : il a besoin comme nous de plusieurs heures de sommeil et s’il n’a pas son compte dans la nuit, il se récupère dans la journée. Et donc il dort dans la barque. Ce thème de Jésus qui dort est très cher à sainte Thérèse. Nous trouvons plusieurs mentions dans les écrits de Thérèse sur Jésus qui dort… Lorsqu’elle raconte son enfance et son adolescence, elle évoque le Noël de l’année 1887, un an après sa conversion, ce Noël où elle aurait espéré être déjà au Carmel ; elle y rentrera trois mois plus tard. Lorsqu’elle rentre dans sa chambre, je la lis :

J’avais trouvé dans ma chambre, au milieu d’un charmant bassin, un petit navire qui portait le petit Jésus dormant avec une petite balle auprès de Lui, sur la voile blanche Céline avait écrit ces mots : « Je dors mais mon cœur veille » et sur le vaisseau ce seul mot : « Abandon ! ».

Ms A 68r

C’est Céline qui lui avait préparé ce cadeau ; on peut le voir au mémorial à côté du Carmel. Ce déjà thème de Jésus qui dort dans la barque, et donc qui n’est pas disponible, mais qui est là… avec cette interprétation de cette parole, du Cantique des cantiques — « je dors, mais mon cœur veille » — qui est attribuée non pas à celui qui prie, mais à Jésus lui-même ; sur la voile, le mot abandon, abandon à Jésus qui dort.

Plus loin dans le manuscrit Thérèse revient sur ce thème à propos de la retraite qui précède sa profession. Elle dit ceci :

“La retraite qui précéda ma profession fut loin de m’apporter des consolations, l’aridité la plus absolue et presque l’abandon furent mon partage.”

Entendez là : je me sens abandonné de Jésus. 

“Jésus dormait comme toujours dans ma petite nacelle ; ah !! je vois bien que rarement les âmes Le laissent dormir tranquillement en elles. Jésus est si fatigué de toujours faire des frais et des avances qu’Il s’empresse de profiter du repos que je Lui offre.”

Thérèse a une telle confiance en Jésus qu’elle ne s’offusque pas du silence de Jésus, qu’elle ne maudit pas Jésus qui ne lui répond pas, mais qu’elle le contemple dormir et qu’elle y trouve sa joie que Jésus l’aime tellement, elle, Thérèse, qu’il a la liberté chez elle de s’endormir.

Je reviens au texte de Thérèse :

“Il ne se réveillera pas sans doute avant ma grande retraite de l’éternité, mais au lieu de me faire de la peine cela me fait un extrême plaisir…” Ms A 75v

“Vraiment je suis loin d’être une sainte, rien que cela en est une preuve ; je devrais au lieu de me réjouir de ma sécheresse, l’attribuer à mon peu de ferveur et de fidélité, je devrais me désoler de dormir (depuis 7 ans) pendant mes oraison set mes actions de grâces ; eh bien, je ne me désole pas… je pense que les petits enfants plaisent autant à leurs parents lorsqu’ils dorment que lorsqu’ils sont éveillés, je pense que pour faire des opérations, les médecins [76r] endorment leurs malades. Enfin je pense que : « Le Seigneur voit notre fragilité, qu’Il se souvient que nous ne sommes que poussière ».” Ms A 75v-76r

Cette confiance en Jésus qui dort même au milieu des épreuves, cette confiance qu’elle peut s’assoupir à son tour auprès de Jésus…

Dans une lettre à Sœur Agnès (sa sœur Pauline), elle dit :

Puisque Jésus veut dormir pourquoi l’en empêcherais-je ? je suis trop heureuse qu’il ne se gêne pas avec moi, il me montre que je ne suis pas une étrangère en me traitant ainsi, car je vous assure qu’il ne fait pas de frais pour me tenir conversation !…

LT 074 – A sœur Agnès de Jésus – 6 janvier 1889

Dans ses oraisons, Thérèse est devant Jésus qui semble dormir, silencieux, mais cela ne la décourage pas pour méditer sans cesse les Saintes Écritures et en particulier l’Évangile ; et à d’autres moments que l’oraison, l’Esprit Saint va puiser dans cette mémoire que Thérèse a nourri des Saintes Écritures pour lui faire entendre ce que le Seigneur veut lui faire entendre. Trop souvent, nous voudrions que le Seigneur fasse ce que nous voulons. Trop souvent, nous inversons la demande du Notre Père en priant, sans nous en rendre compte : que MA volonté soit faite ; trop souvent nous manquons de confiance, pensant que Dieu ne nous entend pas, que Jésus ne nous écoute pas, que Dieu ne nous répond pas. Nous faisons erreur… Comment un Père aussi bon, comment un Sauveur qui a fait tant de folies pour nous, n’entendrait pas notre prière, n’entendrait pas nos cris ? Mais il y répond à sa manière. Et lorsque nous soupçonnons Dieu de surdité, lorsque nous soupçonnons Dieu d’un mutisme coupable, en fait, nous fermons notre cœur à ce que le Seigneur veut nous faire entendre. 

Regardez comment Thérèse découvre l’amour que Jésus a pour elle par le simple fait que, chez elle, il peut dormir. Et Thérèse enseigne les autres à entrer dans cette logique. Elle va écrire à sa sœur Céline une lettre qui est beaucoup trop longue à citer ici, la lettre 144 que je vous invite à lire en entier. J’en lis quelques lignes, elle dit à sa sœur :Jésus […] est si fatigué !… Ses pieds divins se sont lassés à poursuivre les pécheurs, et dans la nacelle de Céline Jésus se repose si doucement. Les apôtres lui avaient donné un oreiller. L’évangile nous rapporte cette particularité. Mais dans la petite barque de son épouse chérie N.S. trouve un autre oreiller beaucoup plus doux. C’est le cœur de Céline, là Il oublie tout, Il est chez Lui… Ce n’est pas une pierre qui soutient sa tête divine (cette pierre après laquelle Il soupirait pendant sa vie mortelle), c’est un cœur d’enfant, un cœur d’épouse. Oh que Jésus est heureux !

Oui frères et sœurs, avec les lectures qui nous sont données ce dimanche, laissons-nous encourager dans notre volonté d’accueillir Jésus dans nos vies, d’en faire le centre de notre existence.

Renonçons tout à fait à douter de son amour pour nous, à douter de sa présence en nous. Et sachons aussi, comme Thérèse, accueillir son silence, accueillir sa présence silencieuse et le rejoindre en ce silence. Ceux parmi vous qui ont eu la grâce d’être parents et d’avoir des petits enfants, ils ont aimé être à côté de leur nourrisson quand il dormait ; et cet enfant qui dormait n’était pas une absence, c’était au contraire une présence bienheureuse.

Que sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus nous apprenne à nous laisser rejoindre par cette douce présence du Sauveur. 

Amen