Dimanche 26 janvier 2025
3ème dimanche Pendant l’Année – Année C
Homélie du Père Emmanuel Schwab
1ère lecture : Néhémie 8, 2-4a.5-6.8-10
Psaume : 18 (19), 8, 9, 10, 15
2ème lecture : 1 Corinthiens 12, 12-30
Évangile : Luc 1, 1-4 ; 4, 14-21
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Il y a quelque 2500 ans, le peuple d’Israël était rassemblé comme nous l’avons entendu dans la première lecture, pour écouter la proclamation de la Parole de Dieu lue dans le Livre de la Loi. Nous sommes habitués à cela, mais prenons le temps de mesurer combien c’est extraordinaire de pouvoir entendre Dieu parler avec nos oreilles d’hommes à travers un langage compréhensible, un langage mémorisable, qui peut être mis par écrit et qui peut être retenu par cœur. Et depuis des siècles et des siècles, le peuple d’Israël, jusqu’à aujourd’hui, puis tous les disciples de Jésus, fils d’Israël, depuis 2000 ans, écoutent la proclamation de la Parole de Dieu comme nous le faisons ce matin.
Jésus, fils d’Israël, a l’habitude, nous dit l’Évangile, de se rendre le jour du sabbat à la synagogue, de se laisser rassembler avec les autres fils d’Israël pour écouter la Parole de Dieu, et pour répondre à Dieu par la prière. Saint Luc nous rapporte cet épisode à la synagogue de Nazareth, où Jésus avait été élevé. Mais nous avons fait précéder ce récit, qui est au chapitre 4, des quatre premiers versets de l’Évangile pour nous rappeler ce qu’est un Évangile.
Luc le dit très clairement : celui à qui il écrit, Théophile, a déjà reçu la Révélation, il a déjà été catéchisé, il a déjà appris à connaître le Seigneur. Et Luc compose un récit… Il compose, c’est-à-dire qu’il fait œuvre d’écrivain en agençant les choses comme cela lui semble pertinent, en allant se renseigner auprès de témoins oculaires, des gens qui ont vu, sans doute a-t-il aussi des documents où l’on a pris en note des paroles que le Seigneur avait pu dire. Et avec tout cela, il compose un exposé suivi pour assurer Théophile dans ce qu’il a entendu. Finalement, nous pouvons dire qu’un Évangile est comme un aide-mémoire pour que ce qui nous a été transmis par la tradition orale, par le témoignage de ceux qui vivent du Christ, nous puissions y revenir sans cesse en ayant un support . Dans la synagogue de Nazareth, Jésus se lève pour proclamer la lecture qui ce jour-là est ce passage du chapitre 61 d’Isaïe. À l’époque de Jésus, comme maintenant, il y avait un calendrier liturgique avec une répartition des lectures ; et sans doute que Jésus sait qu’à ce samedi-là, on lit ce passage-là, et il veut lui le lire. Pourquoi ? Précisément à cause de ce qu’il va en faire. Ce passage d’Isaïe : « L’esprit du Seigneur est sur moi », si l’on traduit littéralement « l’Esprit du Seigneur est sur moi à cause de quoi il m’a oint pour évangéliser les pauvres ». Nous avons l’habitude de traduire le verbe “évangéliser” par “proclamer la bonne nouvelle” ; ici : “pour porter la bonne nouvelle”.
En faisant cela, nous induisons l’idée qu’il s’agit d’un discours. Or, précisément, cet Évangile nous dit autre chose. « L’Esprit du Seigneur est sur moi à cause de quoi il m’a oint pour évangéliser les pauvres », c’est-à-dire : qu’est-ce que c’est qu’évangéliser les pauvres ? Eh bien, c’est cela : « Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur ». Cette évangélisation des pauvres est un acte de salut. Ça n’est pas un discours : c’est ce que le Seigneur fait pour guérir et sauver son peuple.
Mais quel est le commentaire qu’il fait ? Là encore, écoutons une traduction littérale du grec : « Aujourd’hui a été accomplie cette écriture dans vos oreilles. » C’est-à-dire qu’aujourd’hui cette Écriture a été proclamée par l’Unique qui peut dire en toute vérité : « L’esprit du Seigneur est sur moi » parce qu’il est précisément le Messie, le Christ, l’Oint de Dieu, celui qui a reçu l’onction, celui sur qui repose l’Esprit en plénitude… C’est ce qu’a vu Jean-Baptiste au baptême. L’Écriture, cette Écriture, est accomplie ce jour-là parce qu’elle est prononcée par le Christ. Et depuis, c’est ce qui se réalise dans toute la liturgie de l’Église.
C’est ainsi que dans sa constitution sur la liturgie, le concile Vatican II nous dit : « [Le Christ] est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les Saintes Écritures » (Sacrosanctum concilium n°7). C’est lui qui parle ! Lorsque les lecteurs, tout à l’heure, ont proclamé le livre de Néhémie, la première Lettre aux Corinthiens, lorsque le diacre a proclamé l’Évangile, c’est le Seigneur qui nous parlait ! Et nous n’avons pas affaire à des textes, nous avons affaire à la Parole de Dieu. Et il nous faut vraiment avoir dans le cœur, cette foi-là, que, lorsque nous ouvrons les Saintes Écritures — que ce soit dans la proclamation liturgique, que ce soit dans un groupe de chrétiens qui prennent le temps de méditer les Saintes Écritures, que ce soit dans le secret de sa chambre lorsque dans sa prière on ouvre sa Bible pour lire, pour méditer —, il faut que nous ayons vraiment une vive conscience que c’est le Seigneur qui parle ; et donc de toujours nous ouvrir à sa présence et d’accueillir cette parole comme la Parole de Dieu. Nous pouvons la travailler pour mieux la connaître et la comprendre, mais c’est dans le but que le Seigneur puisse, par l’Écriture Sainte, nous faire entendre sa Parole. Et d’une certaine manière, on peut dire que c’est le travail de l’Esprit-Saint de transformer la lettre morte des Écritures en paroles vivantes de Dieu. C’est très intéressant de regarder dans les écrits de sainte Thérèse, la place qu’occupent précisément les Saintes Écritures. Il y a quelque 1800 citations des Saintes Écritures dans l’ensemble des écrits de Thérèse, je n’ai pas fait une étude exhaustive, mais pour l’instant, je n’ai pas le souvenir d’avoir vu chez Thérèse une référence aux Saintes Écritures qui soit une référence à un texte. Ce sont des références à des livres bibliques, mais très souvent, c’est une référence à Jésus qui parle, à l’Esprit-Saint qui parle.
Je vous donne quelques exemples. Dans une lettre assez extraordinaire, la lettre 165 à Céline, où Thérèse lit l’Écriture d’une manière très surprenante, je vous lis ceci :
Je ne sais pas si tu es encore dans la même disposition (dit Thérèse à Céline) d’esprit que l’autre jour mais je vais quand même te dire un passage du Cantique des Cantiques qui exprime parfaitement ce qu’est une âme plongée dans la sécheresse et que rien ne peut réjouir ni consoler.
Elle cite un passage du Cantique des Cantiques, elle le commente comme quelque chose d’actuel et elle continue ne disant :
Jésus […] voit notre tristesse et soudain sa douce voix se fait entendre, voix plus douce que le souffle du printemps : « Reviens, Reviens, ma Sulamite, reviens, reviens afin que nous te considérions !… » (Cant. chap. VI, v.XII). Quel appel que celui de notre Epoux !… (LT 165 à Céline – 7 juillet 1894)
Extraordinaire ! Elle est en train de lire le Cantique des Cantiques, elle voit que ce qui est décrit lui parle de ce qu’elle vit, et quand ensuite, dans le Cantique, l’époux parle à l’épouse, elle prend cela comme la parole de Jésus lui-même : Jésus voit notre tristesse et il nous dit : reviens, reviens.
Elle n’est pas devant un texte : elle est en train de vivre sa relation avec le Seigneur qui parle à travers les Écritures.
Dans sa retraite de septembre 1896, qui va donner naissance à ce texte de feu qu’est le manuscrit B, elle écrit dans l’introduction, la lettre 196 à sa sœur Marie du Sacré-Cœur :
Je comprends si bien qu’il n’y a que l’amour qui puisse nous rendre agréables au Bon Dieu que cet amour est le seul bien que j’ambitionne. Jésus se plaît à me montrer l’unique chemin qui conduit à cette fournaise Divine…
Mais comment est-ce que Jésus lui montre ? À travers les Saintes Écritures : ce chemin c’est l’abandon du petit enfant qui s’endort sans crainte dans les bras de son Père… « Si quelqu’un est tout petit, qu’il vienne à moi » a dit l’Esprit-Saint par la bouche de Salomon, et ce même Esprit d’Amour a dit encore que « La miséricorde est accordée aux petits ». En son nom le prophète Isaïe nous révèle qu’au dernier jour « le Seigneur conduira son troupeau dans les pâturages, qu’il rassemblera les petits agneaux et les pressera sur son sein », et comme si toutes ces promesses ne suffisaient pas, le même prophète dont le regard inspiré plongeait déjà dans les profondeurs éternelles s’écrie au nom du Seigneur : « Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous caresserai sur mes genoux. » (LT 196 à Sr Marie du Sacré-Cœur – 13 septembre 1896)
Je m’arrête là. Je pourrais continuer longtemps à vous montrer comment Thérèse écoute Dieu qui parle, écoute Jésus qui parle, écoute le Saint-Esprit qui parle à travers les Saintes Écritures. Et sa manière de faire est pour nous vraiment un modèle, un appel à faire comme elle. Mais attention ! Thérèse est très soucieuse — elle ne lit pas que cela, et elle a beaucoup lu aussi et notamment dans l’Imitation de Jésus-Christ — de rester à l’intérieur de la foi catholique. Nous ne sommes pas tout seul devant les Saintes Écritures, nous sommes dans une tradition, c’est à dire un acte de transmission. Et c’est pour cela que dans les Bibles catholiques, il y a des notes en bas de page parce que nous ne sommes pas tout seuls. Nous sommes à l’intérieur d’un peuple qui professe une foi régulée par le Dogme. Nous ne croyons pas n’importe quoi, chacun ayant ses idées sur ce qu’il faut croire… non. Nous recevons la Révélation garantie par les apôtres. Les évêques, successeurs des apôtres, sont les garants de l’orthodoxie de la foi. Et c’est à l’intérieur de cette cohérence de foi que nous lisons les Saintes Écritures et que nous laissons le Seigneur nous enseigner.
Dans le Manuscrit C, Thérèse dira aussi comment elle cherche sa voie.
Dans le manuscrit B, elle l’explique comment elle trouve sa vocation.
Dans la seconde lecture aujourd’hui, nous avons entendu cette diversité de vocations qui composent l’Église.
Mais c’est toujours en écoutant la Parole de Dieu, en cherchant à comprendre ce que Dieu nous révèle, que nous pourrons chacun et ensemble, trouver notre juste place dans le corps de l’Église, pour pouvoir porter le fruit que Dieu attend de nous.
Béni soit-il !
Amen
Père Emmanuel Schwab, recteur du Sanctuaire