Homélie du Père Emmanuel Schwab
2ème dimanche de Pâques – Année B
Dimanche de la Divine Miséricorde
1ère lecture : Actes 4,32-35
Psaume : 117 (118),2-4,16ab-18, 22-24
2ème lecture : 1 Jean 5,1-6
Évangile : Jean 20,19-31
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L’autre jour, je donnais mon nom et mon numéro de téléphone à une personne qui, pour s’en souvenir, a écrit dans la paume de sa main mon nom et mon numéro de téléphone. Elle l’a écrit à même sa peau.
Dans le livre d’Isaïe, se trouve une parole étonnante : étonnante lorsque nous contemplons Jésus. Cette parole que Dieu dit à son peuple est la suivante : « Je t’ai gravé dans les paumes de mes mains » (Is 49,16).
Lorsque Jésus présente ses mains à Thomas, Thomas peut contempler comment son nom est gravé dans les mains de Jésus. Ce sont les clous qui ont gravé le nom de Thomas, notre jumeau, dans les mains de Jésus. Ce sont les clous qui ont gravé chacun de nos noms dans les mains de Jésus. Chacun de nous, en contemplant Jésus, peut s’écrier : « Tu as gravé mon nom dans les paumes de tes mains », c’est-à-dire prendre conscience que dans sa Passion, Jésus s’est donné tout entier pour moi… Pas seulement “pour nous”.
Ce “pour nous”, d’une certaine manière, n’a pas de sens tant qu’il n’est pas devenu un “pour moi ”, et quand il devient un “pour moi”, je comprends alors que c’est “pour tous”. L’expérience de la rencontre de Jésus est toujours une expérience intime, et nous trouvons chez Thérèse, à différents endroits, des expressions qui laisseraient à penser que Jésus est venu rien que pour elle, et qu’il lui appartient tout entier. Mais en même temps, dans cette expérience extrêmement intime que fait Thérèse de sa relation à Jésus, grandit en elle un désir immense de sauver des âmes, c’est-à-dire que tous les hommes soient sauvés.
C’est en découvrant combien j’ai été moi-même aimé par le Christ que je découvre en même temps que ce qu’il a fait pour moi, il l’a fait pour tous. Qu’est-ce que la miséricorde de Dieu ? C’est cet amour qui ne cesse de s’abaisser jusqu’à sa créature pour l’élever jusqu’au Ciel. La miséricorde de Dieu, c’est l’amour qui s’abaisse aussi bas qu’est tombée sa créature, pour la relever et l’entraîner dans le mouvement de la résurrection de Jésus et de son ascension, l’entraîner au cœur de la Sainte Trinité. Ce qui fascine Thérèse, c’est cet abaissement de Dieu en Jésus, qui s’abaisse dans l’Incarnation, qui s’abaisse dans le mystère de la Croix, qui s’abaisse dans l’Eucharistie, pour nous emmener au cœur même de la vie divine et nous donner de vivre dans la plénitude de la vie.
Comment accueillons-nous cette miséricorde de Dieu pour nous ? Tant que nous en restons à l’idée que, puisque Dieu fait miséricorde, ce n’est pas bien grave de pécher, c’est que nous n’avons pas compris la miséricorde, nous n’avons pas compris la grandeur de cet amour. Mais si nous comprenons vraiment la grandeur de l’amour de Jésus pour nous, la grandeur de la miséricorde de Jésus pour nous, comment est-il possible qu’il n’y ait pas en notre cœur le désir de répondre, non pas à la hauteur du don de Dieu — car ce don nous dépassera toujours — mais par un amour de réciprocité. Chercher à notre tour à l’aimer plus que nous-mêmes comme lui-même nous a aimés plus que lui-même. Le cœur de la vie du chrétien, c’est l’amour pour Jésus. Et cet amour pour Jésus va se traduire à travers l’amour très concret pour le prochain.
Lorsque Thérèse contemple la miséricorde de Dieu, la miséricorde de Jésus, elle voit tous les attributs de Dieu à travers ce filtre. Il y a ce très beau passage dans le manuscrit A (MsA, 83v°), elle dit :
Je comprends cependant que toutes les âmes ne peuvent pas se ressembler, il faut qu’il y en ait de différentes familles afin d’honorer spécialement chacune des perfections du Bon Dieu. A moi Il a donné sa Miséricorde infinie et c’est à travers elle que je contemple et adore les autres perfections Divines !… Alors toutes m’apparaissent rayonnantes d’amour, la Justice même (et peut-être encore plus que toute autre) me semble revêtue d’amour…
Et là, cette définition extraordinaire de la justice de Dieu :
Quelle douce joie de penser que le Bon Dieu est Juste, c’est-à-dire qu’Il tient compte de nos faiblesses, qu’Il connaît parfaitement la fragilité de notre nature. De quoi donc aurais-je peur ?
Mais ce qui est intéressant chez Thérèse, c’est qu’elle ne va pas prendre prétexte de cette faiblesse pour dire « Je n’y arrive pas et ce n’est pas grave si je fais des péchés », elle va profiter de cette faiblesse pour dire : « Puisque je suis faible et que par moi-même, je ne peux rien faire, alors je me donne tout entière à la miséricorde de Jésus, à l’amour de Jésus, pour qu’il réalise en moi tout ce qu’il nous demande, pour que Jésus réalise en moi la sainteté ».
Et cela est une tâche de tous les instants. Bien souvent, au fond, lorsque nous péchons, c’est que nous avons laissé Jésus de côté et que nous nous appuyons sur nos propres forces. Mais aucun de nos efforts ne pourra l’emporter sur l’Ennemi qui est plus puissant que nous seul. Jésus est plus puissant que l’Ennemi, et donc il nous faut rester avec Jésus, il nous faut rester unis à Jésus tout au long de la journée. Lorsque saint Jean nous dit que Jésus est venu par l’eau et par le sang et qu’il insiste : « Pas seulement l’eau, mais l’eau et le sang », qu’est-ce que cela veut dire ?
Le baptême de Jean est un acte symbolique qui signifie : le péché te conduit à la mort. Et le baptême est une noyade ; mais Jean ressort de l’eau celui qui reçoit ce baptême, en lui disant : « Dieu va te faire grâce, entre dans la terre promise et vit dans la justice ». Lorsque Jésus reçoit ce baptême d’eau, il consent à mourir de la mort de l’homme pécheur, mais ce n’est encore qu’un acte symbolique. Il faudra qu’il le vive dans sa chair et qu’il verse son sang jusqu’à la mort.
De même nous, nous avons reçu le baptême. Dans ce baptême, nous avons été mis avec Jésus, nous avons été revêtus de la sainteté du Christ, mais il nous faut par toute notre vie déployer cette sainteté. Ce n’est pas seulement par l’eau du baptême, mais c’est aussi par le sang du don de nous-mêmes dans la charité qu’il nous faut accomplir ce que le Seigneur a fait pour nous. Cette miséricorde de Dieu que nous avons reçue, il s’agit de la vivre à notre tour en faisant miséricorde à nos frères.
Ce qui est difficile, c’est d’accepter d’être en dette. Dans la logique mondaine, nous n’aimons pas être en dette, il faut toujours “rendre”. On m’a invité, alors il faut que j’invite, il faut que je rende l’équivalent pour être “quitte”.
Mais pas avec Dieu… Je ne peux pas rendre l’équivalent.
Je ne peux qu’accueillir un don immense en disant merci. Et ce merci, je le vis concrètement, jour après jour, en me donnant par amour pour mes frères. Dieu m’a fait miséricorde ; la seule action de grâce que je peux vraiment réaliser c’est de faire miséricorde à mes frères, de les aimer dans la douceur et la patience, de les aimer dans une vraie charité qui nous vient de Dieu, comme Jésus l’a fait pour moi.
Et lorsque nous venons célébrer l’Eucharistie, nous entrons dans cette action de grâce de Jésus qui livre sa vie et qui nous entraîne dans son offrande. Lorsque je viens communier, je viens communier au Corps livré et au Sang versé. Je viens faire “un” avec Jésus qui se donne, pour me donner à mon tour… c’est ainsi que j’entre vraiment dans la miséricorde de Dieu.
Amen.