Homélie du Père Emmanuel Schwab
1ère lecture : Isaïe 9, 1-6
Psaume : 95 (96), 1-2a, 2b-3, 11-12a, 12b-13a, 13bc
2ème lecture : Tite 2, 11-14
Évangile : Luc 2, 1-14
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Qu’y a-t-il donc de dangereux dans cet événement de la naissance de Jésus ? Qu’y a-t-il donc de dangereux ou de scandaleux ou d’obscène pour qu’il soit désormais malvenu de représenter cet événement sur la place publique ?
Qu’y a-t-il de dangereux dans ce nouveau-né couché dans une mangeoire ?
Ce grand mystère de l’Incarnation du Dieu qui se fait homme, ce grand mystère, depuis 2000 ans, éblouit ceux qui s’arrêtent devant la crèche. Thérèse l’exprime dans un de ses créations théâtrales. Elle dit :
Qui donc comprendra ce mystère
Un Dieu se fait petit enfant ?…
Il vient s’exiler sur la terre
Lui l’Éternel… Le Tout-Puissant ! (RP2,1)
Mystère d’abaissement de Dieu : le Tout-Puissant se fait tout-impuissant.
Je répète souvent, parce que je trouve cela fascinant, que le petit d’homme est le seul parmi tous les mammifères qui ne peut pas aller tout seul à la mamelle. Tous les autres n’ont besoin d’aucune aide. Depuis la petite souris jusqu’à la baleine, cela se fait tout seul. Le petit d’homme a besoin que quelqu’un le prenne et l’amène au sein maternel. C’est dire cette impuissance totale du nouveau-né. Lorsque Jésus parlera du Fils de l’Homme livré aux mains des hommes, ce n’est pas seulement de lui qu’il parlera, c’est au fond de chacun de nous et plus particulièrement encore de chaque nouveau-né totalement livré aux mains des hommes. C’est comme cela que, lorsque Dieu accomplit 2000 ans de promesses, il se présente à nous. Certains parfois disent : Mais si Dieu m’apparaissait, alors oui, peut-être je croirais en lui. Mais comment faut-il que Dieu t’apparaisse pour que tu sois sûr que c’est Lui ? Et lorsque Dieu se manifeste vraiment — car cet enfant est vrai Dieu et vrai homme, il est vraiment la seconde personne de la Trinité que Marie a mis au monde ; c’est pour cela que Marie est appelée “Mère de Dieu”, et pas seulement “Mère de Jésus” : elle met au monde la deuxième personne de la Trinité qui se fait homme —, lorsque Dieu se présente ainsi, comment le reconnaître ?
Un premier enseignement que nous pouvons tirer, c’est déjà que dans tout nouveau-né, quelque chose nous est dit du Mystère de Dieu. Dans tout nouveau-né nous est à nouveau, toujours, révélé comment la toute-puissance de Dieu se manifeste dans la grande faiblesse.
Mais celui que nous venons contempler aujourd’hui dans la crèche, c’est le Verbe éternel qui porte toute chose. Il est cette parole puissante par laquelle Dieu engendre tout, crée tout. Et Thérèse est fascinée par cela. Quand elle contemple la crèche, elle contemple cet enfant, ce nouveau-né, ce tout-petit, mais elle reconnaît qu’il est celui par qui tout est créé. Et non seulement elle reconnaît qu’il est celui par qui tout est créé, mais elle reconnaît qu’il est aussi celui qui l’a créée, elle. Ce qui fait que dans une autre poésie, Thérèse écrit : « Tu soutenais le monde et lui donnais la vie » en contemplant l’enfant de la crèche. C’est un passage que le pape François cite dans son Exhortation apostolique « C’est la confiance » (n°33). Je vous lis la strophe en entier, une longue poésie où Thérèse fait mémoire de tout ce que Jésus a fait en s’adressant à Jésus et en lui disant : Rappelle-toi…
Rappelle-toi que sur d’autres rivages
Les astres d’or et la lune d’argent
Que je contemple en l’azur sans nuages
Ont réjoui, charmé tes yeux d’Enfant.
Quand Thérèse contemple le ciel de Lisieux, elle se dit : « Mais au fond, à Bethléem, Jésus a vu ce même ciel, Il l’a contemplé aussi, lui dont il est le Créateur ».
De ta petite main qui caressait Marie
Tu soutenais le monde et lui donnais la vie.
Et tu pensais à moi,
Jésus, mon petit Roi
Rappelle-toi… (PN 24,6)
Tu soutenais le monde et tu lui donnais la vie, et tu pensais à moi…
Lorsque nous venons à la crèche, de manière assez spontanée, nous venons regarder un événement qui est comme extérieur à nous. Thérèse ne voit pas un événement extérieur, elle voit un événement qui la concerne au premier chef. Nous pouvons chercher, dans le temps de Noël qui s’ouvre aujourd’hui, à faire cette même expérience en contemplant l’enfant de la crèche : nous adresser à lui. Ce n’est pas d’abord nous qui le regardons, c’est d’abord lui qui nous regarde, qui nous contemple. Il est venu pour nous. Nous le chanterons tout à l’heure dans le Credo : C’est pour nous qu’il s’est fait homme, pour nous les hommes et pour notre salut. Pour chacun de nous. Et ce mystère de Noël nous touche à cause de cette fragilité de l’enfant qui nous dit quelque chose du mystère de Dieu, mais aussi parce que c’est pour chacun de nous que Dieu s’est fait homme, et que nous sommes donc tous concernés par cet événement.
Enfin Thérèse, dans cette fameuse nuit de Noël 1886 qui va être un moment déterminant de son chemin, un moment qu’elle va appeler même sa complète conversion, quand elle a à peine quatorze ans, elle dit ceci — elle était jusque-là une enfant très sensible qui pleurait facilement dès qu’elle avait fait quelque chose qui n’allait pas, même quelque chose de très léger, et ensuite elle pleurait d’avoir pleuré et elle n’arrivait pas, elle le dit elle-même : Ma raison ne parvenait pas à arrêter cela. Elle écrit donc :
Il fallut que le Bon Dieu fasse un petit miracle pour me faire grandir en un moment et ce miracle il le fit au jour inoubliable de Noël ; en cette nuit lumineuse qui éclaire les délices de la Trinité Sainte, Jésus, le doux petit Enfant d’une heure, changea la nuit de mon âme en torrents de lumière… En cette nuit où Il se fit faible et souffrant pour mon amour, Il me rendit forte et courageuse, Il me revêtit de ses armes et depuis cette nuit bénie, je ne fus vaincue en aucun combat, mais au contraire je marchai de victoires en victoires et commençai pour ainsi dire, « une course de géant !… » (Ms A 44v°)
Le Verbe s’est fait chair. Dieu s’est fait homme dans la faiblesse et la souffrance pour nous rendre fort et courageux. Comme s’il y avait cet admirable échange où le Seigneur vit sa toute-puissance en se faisant faible, pour nous rendre puissants, non pas d’une puissance humaine orgueilleuse et violente, mais nous rendre puissants de la puissance de Dieu, qui est une puissance créatrice et non pas une puissance de prédateur.
La puissance que Dieu nous fait partager en se donnant à nous, c’est la puissance de son amour qui est vainqueur du péché et de la mort. C’est la puissance de son amour qu’aucun péché ne rebute. C’est la puissance de sa miséricorde qui continue d’aimer jusqu’au bout les plus grands pécheurs pour qu’ils se convertissent.
En cette nuit de Noël, nous sommes appelés à notre tour à entrer dans cette toute-puissance de Dieu qui est la toute-puissance de l’amour miséricordieux. C’est ce que Paul essaie de nous dire dans ces quelques mots qu’il écrit à Tite : « Notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien ».
Lorsque nous venons à la crèche contempler l’Enfant Jésus, puissions-nous y déposer tout ce qui est en nous arrogance, esprit de supériorité, orgueil, vanité… Puissions-nous enfouir tout cela dans la paille de la crèche, et recevoir du Seigneur qui s’est fait si petit, la puissance de son amour ; et repartir dans cette détermination du cœur, forte et courageuse, cette détermination de faire partie de ce peuple ardent à faire le bien. C’est le cadeau que Dieu veut nous faire pour nous : faire de nous des hommes et des femmes qui trouvent leur joie dans l’amour miséricordieux qu’ils donnent, dans le bien qu’ils font, qui trouvent leur joie à laisser la puissance de cet Amour miséricordieux de Dieu se déployer dans leur propre faiblesse.
Puisse sainte Thérèse nous apprendre à vivre cette conversion-là.
Amen