L’actualité du message des Saints Louis et Zélie Martin
Nous connaissons bien des aspects de la vie quotidienne de cette famille du XIXe siècle grâce aux nombreux témoignages rapportés à travers la volumineuse correspondance familiale et les écrits de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.
Une vie, un message
Par leur vie simple et ordinaire, bien inscrits dans leur époque, la famille des saints Louis et Zélie Martin, avec ses joies et ses peines, est une chance et un exemple donnés à l’Eglise et au monde pour comprendre aujourd’hui, l’importance de l’amour vrai vécu en famille, entre époux d’abord et entre parents et enfants.
La vie des saints Louis et Zélie Martin est une invitation à mettre Dieu à la première place dans chacune de nos familles pour continuer à « Vivre d’amour » selon l’expression de leur fille sainte Thérèse et comme en témoigne la vie de leur fille Léonie, « La Servante de Dieu, sœur Françoise-Thérèse ».
Par leur vie donnée à Dieu et traduite concrètement dans leur vie familiale au quotidien, les saints Louis et Zélie Martin rendent la sainteté dans nos familles d’aujourd’hui, abordable et désirable.
La vie de famille
Faits l’un pour l’autre, les époux Martin s’aimeront toujours profondément, délicats et attentifs l’un à l’autre. Exigeants et bienveillants dans l’éducation de leurs enfants, ils les élèvent dans l’amour de Dieu et du prochain. Ils assument pleinement leurs vocations de père et de mère, y compris à travers les difficultés qu’ils rencontrèrent.
Par leur choix d’une vie simple pour leur famille, Louis et Zélie ne font pas le jeu des mondanités auxquelles leur situation sociale et leur fortune acquise par le travail pourraient les exposer.
La vie sociale
Louis et Zélie Martin sont actifs dans la vie quotidienne, prenant à bras-le-corps les difficultés inhérentes à la vie de leur entreprise. Ils sont travailleurs, donnent de leur personne, sont attentifs aux employés, les soutenant dans leurs difficultés personnelles.
Ils portent encore attention aux plus démunis, notamment par leur implication dans différentes œuvres comme le Cercle Vital Romet et la Conférence Saint-Vincent de Paul.
Ils sont généreux, attentifs aux plus petits et aux plus pauvres qui le leur rendent bien par leur attachement reconnaissant.
La vie ecclésiale
Paroissiens assidus, ils se rendent chaque matin à la messe des ouvriers. A l’origine de l’Adoration nocturne, ils participent à différentes confréries ou associations de piété. Louis se rend souvent en pèlerinage vers tel ou tel sanctuaire. Ils ont l’un et l’autre une grande considération pour les prêtres et témoignent encore de leur amour pour l’Église.
Homme et femme de prière, Dieu est toujours le premier servi à travers les différentes occupations du quotidien.
Les épreuves de la vie
Louis Martin et Zélie Guérin sont d’abord éprouvés par le discernement de leur vocation respective qui les voit passer du désir de la vie religieuse à la grâce du mariage pour une vie sponsale et familiale, heureuse et comblée.
Ils perdent quatre enfants en bas-âge. Ils connaissent comme parents, de grandes difficultés avec Léonie qui cependant est devenue depuis le 18 décembre 2014, « La Servante de Dieu » par la renommée de sainteté qui traverse son existence, toute ouverte à l’amour de Dieu et à l’amour du prochain.
Eprouvés au terme de leur vie terrestre par la maladie, Zélie est atteinte d’un cancer du sein qui se généralise et l’emporte à l’âge de quarante-six ans, laissant une famille très affectée à laquelle elle manquera toujours comme épouse et comme maman.
Douze ans plus tard, Louis souffre d’une artériosclérose cérébrale qui provoque des signes de démence et oblige à l’interner pendant trois ans. Devenu hémiplégique, il finit sa vie auprès de sa belle-famille Guérin.
Un parcours de sainteté qui transmet la foi
Conférence du Cardinal José Saraiva Martins
« Alençon et Lisieux, 12-13 juillet 2008,
150e anniversaire de mariage
des vénérables époux, Louis et Zélie Martin »
« Noces de granit »
C’est pour moi une grande émotion et une grâce de Dieu d’être aujourd’hui avec vous en ce lieu. L’église Notre-Dame d’Alençon, avec son porche gothique flamboyant, est un vrai bijou ou, comme vous le dites vous-même, une vraie dentelle, le point d’Alençon en pierre ; on m’a dit que « si on veut mettre Dieu au plus bel endroit de l’Eglise, il faut le mettre à la porte ! »
Je remercie pour l’attention délicate avec laquelle j’ai été invité ce 12 juillet à faire mémoire, avec vous tous, du 150e anniversaire du mariage des Vénérables Serviteurs de Dieu, Zélie Guérin et Louis Martin. Mariage et vie, dirais-je, réalisés avec une rare maîtrise, par le véritable Architecte de ce chef d’œuvre magnifique : les époux Louis et Zélie Martin sont des pierres choisies, « pierres précieuses et vivantes, sculptées par l’Esprit Saint », telle une très fine dentelle de point d’Alençon pour l’Eglise de Dieu que sont les diocèses de Sées et de Bayeux et Lisieux où ils vécurent et moururent.
Noces d’or dans le Christ, même, trois fois d’or, si on peut dire, puisqu’elles durent depuis 150 ans. Je pense qu’il faut justifier le terme de : « noces de granit » comme votre évêque Mgr Jean-Claude Boulanger les a caractérisées sur le site web du diocèse. Quand on voit les maisons du centre historique de votre belle et célèbre cité – que je peux admirer -, je trouve tout à fait adéquate l’image du granit pour caractériser la solidité et la simplicité de l’amour et de la foi des époux Martin.
Permettez-moi de vous rapporter les paroles d’un contemporain de leur fille Thérèse, Paul Claudel (1868-1955) qui, dans le Prologue de l’Annonce faite à Marie, écrit : « Ce n’est pas à la pierre de choisir sa place, mais au Maître de l’Œuvre qui l’a choisie… La Sainteté n’est pas d’aller se faire lapider chez les Turcs ou de baiser un lépreux sur la bouche, mais de faire le commandement de Dieu aussitôt, qu’il soit de rester à notre place, ou de monter plus haut ».
Les Martin sont des saints choisis par Dieu pour être de ces saints-là, engagés dans la construction de Son Eglise. C’est en cela, justement, que réside la sainteté : s’empresser de faire la volonté de Dieu là où Il nous a placés, il s’agit de « rester à notre place, ou de monter plus haut »
Dieu est le « Trois fois saint », Dieu est ce « Père vraiment saint, source de toute sainteté », qui « sanctifie » les dons et les fidèles « par l’effusion de son Esprit »(1) . La sainteté, toute sainteté, n’est donc que le reflet de sa gloire. L’Eglise, en élevant quelqu’un aux honneurs des autels, veut d’abord raconter et proclamer la gloire et la miséricorde de Dieu. En même temps, par son témoignage, elle offre aux croyants un exemple à imiter et, par son intercession, une aide à laquelle recourir.
Précisément ce 12 juillet, en 1858 à 22 heures, les vénérables serviteurs de Dieu, Zélie Guérin et Louis Martin ont contracté un mariage civil. Deux heures plus tard, à minuit, accueillis par l’abbé Hurel, un prêtre ami, ils ont franchi le seuil de cette église paroissiale pour célébrer leurs noces dans le Christ ; cela dans la plus stricte intimité, entourés de quelques parents et amis proches. La nuit de leurs noces rappelle la nuit de Noël et celle de Pâques, la nuit qui « seule entre toutes » a mérité de connaître le moment et l’heure de l’événement qui a bouleversé l’histoire de l’humanité. Ainsi a commencé leur « Cantique des Cantiques ».
Un couple apostolique
Thérèse, devenue carmélite, invitait sa sœur Céline à exprimer un chant d’action de grâce à Jésus à l’occasion de sa prise d’habit :
« Lève les yeux vers la Sainte Patrie
Et tu verras sur des trônes d’honneur
Un Père aimé… une Mère chérie…
Auxquels tu dois ton immense bonheur !… » (PN 16,1)
Les vénérables Serviteurs de Dieu Zélie et Louis, que le pape aura la joie d’élever aux honneurs des autels, ont été avant tout un couple uni dans le Christ, qui a vécu sa mission dans la transmission de la foi avec passion et avec un rare sens du devoir. Ils ont vécu à un moment particulier de l’histoire, ce XIXe siècle très différent du nôtre, et cependant, ils ont témoigné et se sont engagés de façon tout à fait naturelle, je dirai même de façon physiologique, dans ce que nous appelons aujourd’hui l’évangélisation.
Nous pouvons à juste titre les définir comme un « couple apostolique » tel Priscille et Aquila : les époux Louis et Zélie se sont engagés comme couple chrétien laïque dans l’apostolat d’évangélisation, et ils l’ont fait, de façon sérieuse et convaincue durant toute leur existence, au sein de leur famille comme à l’extérieur.
Le « don de soi » est tout à fait remarquable dans la vie de ces « incomparables parents »(2) selon l’expression même de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus de la Sainte Face. Mais la sainteté de leur vie, comme leur réputation de sainteté, ne se limite pas à la période conjugale. Elle est déjà présente auparavant. Leur vie à tous deux s’est développée dans la recherche de Dieu, dans la prière, animée par le profond désir de réaliser surtout Sa volonté. Ils s’étaient orientés, au départ, vers une vie religieuse consacrée. Ils se sont fait aider dans leur discernement.
On n’en finirait pas d’être édifié par les récits des nombreux actes de charité manifestés dans vos rues par les époux Martin. Plusieurs Alençonnais, des membres de la famille Martin comme de leurs amis ont été les témoins directs de leur « don de soi ». Ils ont déposé aux différents Procès informatifs, d’abord pour la cause de Thérèse et, plus tard, pour celle de ses parents, procès qui ont pour but de vérifier les critères de sainteté dans l’Eglise. Dans les témoignages recueillis pour la cause de Thérèse, de nombreuses personnes ont parlé de ses parents et de leurs qualités éminemment chrétiennes.
Il suffit de lire Histoire d’une âme et de se promener dans les rues de votre ville pour découvrir les lieux où Louis et Zélie ont grandi, ont reçu leur formation humaine et chrétienne et ont travaillé : rue Saint-Blaise pour Zélie, comme dentellière (et quelle dentellière !) ; rue du Pont-Neuf pour Louis, comme horloger-bijoutier. C’est là qu’ils ont approfondi leur foi et pensé à se donner au Seigneur. Dieu toutefois avait d’autres projets sur eux et, un jour, sur le pont Saint-Léonard, ils se sont croisés, se sont connus et se sont aimés. Puis ils se sont mariés et sont devenus parents. C’est précisément ici, dans cette église, que Thérèse, leur dernière fille, est re-née au Christ. Les fonts baptismaux sont encore les mêmes ; ils représentent le sein de l’Eglise, Mère et éducatrice de saints, sein unique qui nous fait tous fils de l’Unique Père, matrice unique de la sainteté.
Elles sont proverbiales, l’ouverture et la capacité d’accueil de la famille Martin : non seulement la maison est ouverte et accueillante pour quiconque frappe à la porte, mais le cœur de ces époux est chaleureux, large et prêt au « don de soi ». Contrairement à l’esprit bourgeois de leur temps et de leur entourage, qui cachait derrière un certain decorum la religion de l’argent et le mépris des pauvres, Louis et Zélie, avec leurs cinq filles, passaient une bonne partie de leur temps et de leur argent à aider celui qui était dans le besoin.
Au procès de ses parents, Céline Martin, au Carmel Sœur Geneviève, témoigna de l’amour de son père et de sa mère pour les pauvres : « Si au foyer régnait l’économie, c’était de la prodigalité quand il s’agissait de secourir les pauvres. On allait au devant d’eux, on les cherchait, on les pressait d’entrer chez nous, où ils étaient comblés, ravitaillés, vêtus, exhortés au bien. Je vois encore ma mère empressée autour d’un pauvre vieillard. J’avais alors sept ans. Mais je m’en souviens comme si c’était hier. Nous étions en promenade à la campagne quand, sur la route, nous rencontrâmes un pauvre vieillard qui paraissait malheureux. Ma mère envoya Thérèse lui porter une aumône. Il en parut si reconnaissant qu’elle entra en conversation avec lui. Alors ma mère lui dit de nous suivre et nous rentrâmes à la maison. Elle lui prépara un bon dîner, il mourait de faim, et lui donna des vêtements et une paire de chaussures… Et elle l’invita à revenir chez nous lorsqu’il aurait besoin de quelque chose. » (3)
Et, à propos de son père, elle ajoute : « Mon père s’occupait de leur trouver un emploi selon leur condition, les faisant entrer à l’hôpital quand il y avait lieu, ou leur procurant une situation honorable. C’est ainsi qu’il aida un ménage de la noblesse en détresse […]. A Lisieux, aux Buissonnets, tous les lundis, dans la matinée, les pauvres venaient demander l’aumône. On leur donnait toujours, ou des vivres ou de l’argent ; et souvent c’était la petite Thérèse qui portait les aumônes. Un autre jour, mon père avait rencontré à l’église un vieillard qui avait l’air très pauvre. Il l’amena à la maison. On lui donna à manger et tout ce dont il avait besoin. Au moment où il allait partir, mon père lui demanda de nous bénir, Thérèse et moi. Nous étions déjà de grandes jeunes filles et nous nous sommes agenouillées devant lui, et il nous a bénies. » (4)
Ce sont des choses extraordinaires qui se sont passées ici-même ! Nous ne sommes pas devant une simple bonté, mais devant l’amour pour le pauvre vécu de façon héroïque, selon l’esprit de l’évangile de Matthieu (5). Chez ce couple lumineux resplendit quelque chose de la sainteté de toujours que nous trouvons tout au long de l’histoire de l’Eglise.
La réputation de sainteté
Tous les Papes, qui ont eu à s’occuper de la petite Thérèse ( Saint Pie X, Benoît XV, Pie XI, Pie XII, le bienheureux Jean XXIII, le Serviteur de Dieu Paul VI – du pape Jean-Paul Ier je parlerai tout à l’heure – et jusqu’au grand Pape Jean-Paul II), tous ont mis en lumière l’exemplarité de la sainteté des parents Martin, soulignant le lien de leur sainteté avec celui de leur fille.
La sainteté de ces époux n’est pas due à la sainteté de leur fille ; elle est une véritable sainteté personnelle voulue, poursuivie à travers un chemin d’obéissance à la volonté de Dieu qui veut tous ses fils saints comme Lui-même est Saint. Alors, on peut dire que Thérèse est la première « postulatrice » de la sainteté de ses parents ; sainteté au sens le plus vrai du terme, ce n’est pas une simple façon de parler. Thérèse parle de son père en employant plusieurs fois des mots comme « saint », « serviteur de Dieu », « juste ». Elle admire chez ses parents non seulement leurs capacités et leur finesse humaine ou leur courage au travail, elle remarque aussi leur foi, leur espérance et leur charité, l’exercice héroïque de ces vertus théologales. Elle souligne tous les éléments qui font l’objet d’un examen dans les procès canoniques. Si je pouvais, je la recommanderais comme postulatrice.
L’Eglise se sent débitrice vis-à-vis de Louis et de Zélie, eux qui ont été de vrais maîtres et modèles de sainteté pour leur fille Thérèse, comme l’a affirmé justement Balthasar dans son ouvrage Sorelle nello Spirito(6) lorsqu’il écrit : « Dans le surnaturel, Thérèse ne réalise que ce qu’elle a, de quelque manière, vécu dans le naturel. Peut-être n’a-t-elle rien de plus intime et de plus irrésistible que l’amour de son père et de sa mère. C’est pourquoi son image de Dieu est déterminée par l’amour de l’enfant pour ses parents. A Louis et à Zélie Martin nous devons finalement la doctrine de la »petite voie« », la doctrine de « l’enfance », car ils ont rendu vivant en Thérèse de l’Enfant-Jésus le Dieu qui est plus que père et mère « (7)
Cette observation de Balthasar est d’une importance capitale. Il affirme très clairement que la doctrine de la « petite voie » qui a fait de Thérèse un Docteur de l’Eglise ès Science de l’amour de Dieu, nous la devons à la sainteté et à l’exemplarité de la vie de Louis et de Zélie ; l’Eglise, en s’apprêtant aujourd’hui à béatifier ce couple, montre que la sainteté est possible, qu’elle est à la portée de tous, quels que soient le choix et l’état de vie que nous avons embrassés. Et ce peut être une grande sainteté.
Cela ne devrait-il pas être une réalité pour tout foyer ? La famille n’est-elle pas appelée à transmettre à ses enfants le mystère de « Dieu qui est plus que père et mère » ? La famille n’est-elle pas une école d’humanité véritable et un lieu d’exercices à la sainteté ? Elle est le lieu privilégié pour forger le caractère et la conscience. Voilà la mission, le devoir de toujours des couples, de la famille chrétienne.
A bien y regarder, la réputation de sainteté de ces époux dépasse déjà les limites de vos diocèses ; elle est présente aujourd’hui, pourrions-nous dire, dans tout l’Oikoumene catholique comme il ressort de la documentation abondante et détaillée qui ne cesse d’augmenter depuis plus de 80 ans.
Ce prodige, nous le devons certes à Thérèse. S’il est vrai que Histoire d’une âme, dont la première édition date de 1898, est, après la Bible, le livre le plus traduit en de nombreuses langues, on comprend fort bien l’immense résonance qui en résulte pour les parents Martin dans le monde. Il n’est sans doute pas exagéré de dire que, pour ce qui est de la réputation, après la Sainte Famille de Nazareth, la « sainte famille Martin » vient au second rang.
Le Serviteur de Dieu, Jean-Paul Ier, lorsqu’il était encore Patriarche de Venise (1969-1978), a écrit, dans un livre bien connu, Illustrissimi (8) : « Quand j’ai vu qu’était introduite la cause de béatification des parents de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, je me suis dit : »Enfin une cause à deux ! Saint Louis est saint sans son épouse Marguerite, Monique sans son mari Patrizio ; Zélie Guérin, par contre, sera sainte avec Louis Martin son époux et avec Thérèse sa fille !« Déjà en 1925, le Cardinal Antonio Vico, envoyé par Pie XI à Lisieux comme délégué pour présider les fêtes solennelles en l’honneur de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, canonisée depuis peu, s’adressa à Mère Agnès de Jésus (Pauline, la seconde fille des Martin) : » Maintenant il faut s’occuper du papa… C’est de Rome qu’on me charge de vous le dire »(9) Si l’affaire n’a pas eu de suite immédiate, on le doit à la perplexité évidente de Mère Agnès de Jésus.
« Incomparables parents »
Tous ceux qui ont abordé, même rapidement, Histoire d’une âme, n’ont pu que remarquer la personnalité humaine et spirituelle de ces parents qui ont construit, avec sagesse, l’atmosphère familiale dans laquelle a grandi Thérèse. Ils n’ont pu qu’aimer ses « incomparables parents ».
La riche correspondance de Zélie est un témoignage de la façon dont Mme Martin a suivi la formation humaine, chrétienne et spirituelle de tous les membres de sa famille, d’abord celle de son frère Isidore, avant et après son mariage, celle de sa belle-sœur Céline Fournet et celle de ses propres filles. Il n’y a pas une de ses lettres qui ne manifeste la présence de Dieu, une présence non pas formelle ou de convenance, de circonstance, mais une référence constante pour tout aspect de la vie. Une correspondance qui témoigne d’une attention exquise au bien de toute la personne et à sa croissance globale. Croissance qui est pleine et valide dans la mesure où elle n’exclut pas Dieu de son horizon.
Louis, son mari, est moins loquace et n’aime pas écrire. Il ne refuse pas de témoigner ouvertement de sa foi et ne craint pas les moqueries à son égard ; dans les rapports avec sa femme, à la maison avec ses cinq filles, dans la gestion de son horlogerie-bijouterie, ou encore avec ses amis, dans la rue ou en voyage, en toutes circonstances, pour lui « Messire Dieu, premier servi ».
Une famille missionnaire de première heure quand, en France, depuis peu, surgit l’œuvre de la Propagation de la foi de Pauline Jaricot (1799-1862) et que commencent les mouvements missionnaires du XIXe siècle. Vous savez que les parents Martin ont inscrit toutes leurs filles à l’Œuvre de la Sainte Enfance (on conserve encore l’image-souvenir de l’inscription de Thérèse, le 12 janvier 1882) et qu’ils envoyèrent des offrandes généreuses pour la construction de nouvelles églises en terre de mission. Pour Thérèse, le fait de participer toute jeune aux activités de l’Œuvre de la Sainte Enfance, n’a fait qu’éveiller et développer son zèle missionnaire. Louis et Zélie furent des saints qui engendrèrent une sainte, ils furent des époux missionnaires qui, non seulement, participèrent à l’élan missionnaire de leur temps, mais éduquèrent pour l’Eglise la Patronne des Missions Universelles (1927).
Louis et Zélie sont saints, non pas tant par la méthode ou les moyens choisis pour participer à l’évangélisation, ( qui sont évidemment ceux de l’Eglise et de la société de leur temps) , mais ils sont saints par le témoignage du sérieux de leur la foi vécue le dans leur famille. Ils ont évangélisé leurs enfants par l’exemple de leur vie de couple, puis par la parole et l’enseignement au sein de la famille.
A cet égard, il suffit de rappeler ce que Thérèse elle-même écrit dans Histoire d’une âme à propos de la fascination qu’exerçaient sur elle son père et sa mère : « Tous les détails de la maladie de notre mère chérie sont encore présents à mon cœur, je me souviens surtout des dernières semaines qu’elle a passées sur la terre ; nous étions, Céline et moi, comme de pauvres petites exilées, tous les matins, Mme Leriche venait nous chercher et nous passions la journée chez elle. Un jour, nous n’avions pas eu le temps de faire notre prière avant de partir et pendant le trajet Céline m’a dit tout bas : »Faut-il le dire que nous n’avons pas fait notre prière ?…« »Oh ! oui« lui ai-je répondu ; alors bien timidement elle l’a dit à Mme Leriche, celle-ci nous a répondu »Eh bien, mes petites filles, vous allez la faire« et puis nous mettant toutes les deux dans une grande chambre elle est partie… Alors Céline m’a regardée et nous avons dit : »Ah ! ce n’est pas comme Maman… toujours elle nous faisait faire notre prière !« … » (10)
Son père, « le Roi de France et de Navarre »(11) , comme elle aimait l’appeler, exerçait une belle fascination spirituelle sur elle. Sa figure d’homme inspirait vénération et respect : « Que pourrai-je dire des veillées d’hiver, surtout celles du Dimanche ? Ah ! qu’il m’était doux après la partie de damier de m’asseoir avec Céline sur les genoux de Papa… De sa belle voix, il chantait des airs remplissant l’âme de pensées profondes… ou bien, nous berçant doucement, il récitait des poésies empreintes des vérités éternelles… Ensuite nous montions pour faire la prière en commun et la petite reine était toute seule auprès de son Roi, n’ayant qu’à le regarder pour savoir comment prient les Saints… » (12)
Une initiation chrétienne en famille
Nous pouvons définir le manuscrit A comme « le manuscrit de l’initiation chrétienne familiale de Thérèse ». Une initiation conduite avec le même sérieux que l’apprentissage scolaire. La foi, chez les Martin, est une foi vécue et non pas une série de normes à respecter. De sa préparation des sacrements de l’initiation chrétienne, Thérèse, toujours dans le manuscrit A (1895), remercie non seulement ses parents déjà décédés (la maman en 1877 et le papa en 1894) mais aussi ses sœurs aînées.
Je veux souligner ici la valeur particulière, non seulement des parents, mais aussi celle des sœurs aînées, donc de la famille entière. Les parents éduqués eux-mêmes par l’enseignement de l’Église, ont transmis à leur tour cet enseignement reçu à tous les enfants. Et ils l’ont tellement bien fait, qu’ils ont mérité que la plus illustre de leurs filles, après avoir été elle-même enseignée et formée par ces « incomparables parents », est devenue Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, qui aujourd’hui enseigne toute l’Église et toute l’humanité comme docteur (1997). Ab ipsis docta docet : Enseignée, elle enseigne maintenant.
C’est là le défi que l’Église lance aujourd’hui à toutes les familles chrétiennes, avec la béatification de cette famille.
Ils n’ont pas été de simples instruments qui ont véhiculé la foi, comme un aqueduc transporte l’eau, mais le depositum fidei, le dépôt de la foi, ils l’ont transmis et enrichi par leur propre expérience personnelle de foi, d’espérance et de charité. Ils n’ont pas transmis la foi comme quelque chose de traditionnel, de fragmentaire et de notionnel, mais comme quelque chose de vivant. Non pas une foi qui serait un héritage comme celui que laissent les morts ; car l’héritage vient après la mort ; non, par le baptême, ils ont greffé leurs enfants dans le courant vivant et vital de l’Église, ne se substituant pas à l’Église, mais avec l’Église et dans l’Église. Ils ont collaboré avec l’Église en parfaite harmonie.
Il faut encore observer que la sainteté de ce couple se trouve en accord avec le concile Vatican II et d’autres Documents de l’Église.
« Précédés par l’exemple et la prière commune de leurs parents, les enfants, et même tous ceux qui vivent dans le cercle familial, s’ouvriront ainsi plus facilement à des sentiments d’humanité et trouveront plus aisément le chemin du salut et de la sainteté. »
Constitution pastorale Gaudium et Spes
Comment ne pas voir la proximité de la famille Martin avec ce texte ? Tout cela peut nous surprendre quand on songe combien leur temps est distant du nôtre. Il y a 150 ans, le 12 juillet 1858 se situait dans la France du Second Empire. Nous, hommes et femmes du Troisième Millénaire, nous pouvons éprouver une difficulté à imaginer leur genre de vie quotidienne, sans électricité, sans chauffage, ni radio ni télévision, rien de tous ces moyens modernes de communication qui caractérisent notre vie moderne. Mais nous, ici, aujourd’hui, nous jugeons la sainteté, non pas la distance qui nous sépare de leur témoignage ; nous jugeons la sainteté, non la forme dans laquelle elle nous parvient. Leur sainteté est distante de nous dans la forme mais non dans la substance, le contenu et la doctrine. Les Martin ont su garder le bon vin jusqu’à la fin (Jn 2/10)
Même à la lumière des documents de l’Église, ce couple peut être proposé comme une famille engagée dans l’évangélisation de ses fils. A leur époque, il s’agissait d’une évangélisation plus empruntée, peut-être, au catéchisme et aux préceptes, la doctrine de l’Église était enseignée non seulement dans la paroisse mais aussi dans la famille, on apprenait par cœur les vérités de la foi. En tout cela l’Église suivait la méthode d’enseignement courante à cette époque où la mémoire jouait un rôle important.
La famille Martin est témoin dans sa maison – avec ses enfants et ceux qui les entourent, ses parents et ses domestiques – du rôle de l’évangélisation, non seulement en tant que couple : toute la famille a une mission et une tâche à développer.
Paul VI écrivait dans son encyclique Evangelii nuntiandi (71) quelque chose que nous voyons vécu dans la famille Martin. « Au sein de l’apostolat évangélisateur des laïcs, il est impossible de ne pas souligner l’action évangélisatrice de la famille. Elle a bien mérité, aux différents moments de l’histoire, le beau nom “d’Église domestique” sanctionné par le concile VaticanII. Cela signifie, que, en chaque famille chrétienne, devraient se retrouver les divers aspects de l’Église entière. En outre, la famille, comme l’Église, se doit d’être un espace où l’Évangile est transmis et d’où l’Évangile rayonne. Au sein donc d’une famille consciente de cette mission, tous les membres de la famille évangélisent et sont évangélisés. Les parents non seulement communiquent aux enfants l’Évangile, mais peuvent recevoir d’eux ce même Évangile profondément vécu. Et une telle famille se fait évangélisatrice de beaucoup d’autres familles et du milieu dans lequel elle s’insère. « La maison rue du Pont-Neuf, celle de la rue Saint-Blaise et celle des Buissonnets ont toujours été, malgré les différents déménagements, une » petite Église domestique » où encore une fois les Martin sont bien en harmonie avec notre temps.
La famille de Louis et de Zélie, a été, pour leurs cinq enfants- quatre autres sont morts en bas âge – le lieu privilégié de l’expérience de l’amour et de la transmission de la foi. Dans la maison, dans l’intimité de la chaleur familiale et de la vie domestique, chacun a reçu et donné. Au milieu des multiples soucis professionnels, les parents ont su l’un et l’autre communiquer les premiers enseignements de la foi à leurs propres enfants, dès la plus tendre enfance. Ils ont été les premiers maîtres dans l’initiation de leurs enfants à la prière, à l’amour et à la connaissance de Dieu, en montrant qu’ils priaient tout seuls et ensemble, en les accompagnant à la messe et aux visites au Saint-Sacrement ; ils leur ont enseigné la prière, pas simplement en disant qu’il fallait prier mais en transformant leurs maisons en « une école de prière ». Ils ont enseigné combien c’était important de rester avec Jésus, en écoutant les Évangiles qui nous parlent de lui. De plus, la vie spirituelle, cultivée dès la jeunesse, comme ce fut le cas pour Zélie et Louis, s’alimentait à la source de la vie paroissiale. Ils étaient de fidèles lecteurs de l’Année liturgique de Dom Guéranger, livre très apprécié par Thérèse elle-même, qui en prit connaissance justement à la maison.
Chers frères et sœurs, Louis et Zélie nous révèlent une vérité simple, même très simple : la sainteté chrétienne n’est pas un métier pour un petit nombre. Elle est bien la vocation normale de tous, de chaque baptisé. Louis et Zélie nous ont dit simplement que la sainteté concerne la femme, le mari, les enfants, les soucis du travail, et même la sexualité. Le saint n’est pas un surhomme, le saint est un homme vrai.
Le 4 avril 1957, Céline – au Carmel sœur Geneviève de la Sainte Face -, en déposant au procès sur l’héroïcité de son père, parle de « la beauté d’une vie conjugale vécue tout entière pour le bon Dieu seul, sans aucun égoïsme ni repli sur soi. Si le serviteur de Dieu désirait beaucoup d’enfants, c’était pour les donner à Dieu sans réserve. Et tout cela dans la simplicité d’une existence ordinaire, laborieuse, semée d’épreuves accueillies avec abandon et confiance dans la Divine Providence. » .
Je termine en reprenant les mots mêmes qui ont conclu la déclaration sur les vertus de Louis et de Zélie le 13 octobre 1987 : « Nous avons devant nous un couple, et une famille, qui ont vécu et agi en pleine consonance avec l’Évangile, préoccupés seulement de vivre à chaque instant de la journée le plan préparé par Dieu pour eux. En interrogeant et en écoutant Sa voix, ils n’ont rien fait d’autre que de se perfectionner. Louis et Zélie Martin ne sont pas protagonistes de gestes éclatants ou d’une densité apostolique particulière, mais ils ont vécu la vie quotidienne de toute famille, illuminés toujours par le divin et le surnaturel. C’est là l’aspect central, de portée ecclésiale, offert à l’imitation des familles d’aujourd’hui. En mettant devant nous la famille Martin, on pourra recevoir aliment, force, orientation, pour éviter le laïcisme et la sécularisation moderne, et ainsi triompher de beaucoup de misères, et voir le don de l’amour conjugal et, avec lui, le don de la paternité et de la maternité dans la lumière d’un incommensurable Don de Dieu. »
Homélie du Cardinal José Saraiva Martins
Alençon et Lisieux, 12-13 juillet 2008
150e anniversaire de mariage
des Vénérables Serviteurs de Dieu, Louis et Zélie Martin
Céline… « lève les yeux vers la Céleste Patrie, Et tu verras sur des sièges d’honneur Un Père aimé… Une Mère chérie… Auxquels tu dois ton immense bonheur ! … »
Très chers frères et sœurs,
J’ai voulu commencer cette réflexion avec les mots mêmes de Thérèse, décrivant l’atmosphère familiale dans laquelle elle a grandi.
La famille, du XIXe siècle à aujourd’hui
Quand le ciel se vide de Dieu, la terre se peuple d’idoles. Déjà au XIXe siècle, celui des Martin, et au début du XXe siècle, on s’est progressivement désintéressé du domaine de l’éducation au sein de la famille, au profit du champ socio-économique. Charles Péguy, né cinq jours après sainte Thérèse, le soulignait, presque prophétiquement : « Un enfant chrétien, écrit-il en effet, dans une de ses œuvres, n’est rien d’autre qu’un enfant auquel on a mis sous les yeux des milliers de fois l’enfance de Jésus ». Dans les rythmes et dans les mots quotidiens on trouve encore des réflexes inconscients de ce peuple chrétien « qui allaient et chantaient » et qui « rempaillaient les chaises dans le même état d’esprit qu’ils sculptaient leurs cathédrales » Pourtant on ne peut pas dire que le petit Charles entre dans la description de l’enfant chrétien chère au Péguy adulte. Autour de lui, dans le milieu familial et scolaire de son enfance, personne ne vit ainsi, le regard familièrement et affectueusement tourné vers Jésus. Mais, pour la famille Martin, c’est le cas.
Ce refus de la paternité se poursuit au XXe siècle de façon plus complexe, essentiellement dans l’adhésion aux modèles des grands totalitarismes, lesquels entendaient se substituer à la famille, en confiant l’éducation à l’État totalitaire, communiste ou national-socialiste. Cette abdication, cette éclipse de la figure du père, se prolonge dans la société de consommation, où le carriérisme et l’image ont pris la place à l’éducation des enfants. L’éducation est une question de témoignage.
Sans longs discours, sans sermons Monsieur Martin a introduit Thérèse au sens ultime de l’existence. Louis et Zélie ont été éducateurs parce qu’ils n’avaient pas le problème d’éduquer.
La famille aujourd’hui : L’amour malade en famille
Au début de l’année, un quotidien italien (« Il Mattino di Napoli » [Le matin de Naples] du lundi 14 janvier 2008) publiait un article de Claude Risé, sous ce titre significatif : « L’amour est tombé malade dans la famille ».
Est tombé malade l’amour, en particulier est tombé malade le lieu où chaque être humain expérimente pour la première fois l’amour, être aimé et aimer les autres […]. Dans la famille actuelle, les enfants, plutôt que d’être l’objet de l’amour des parents, se trouvent en concurrence avec beaucoup d’autres choses.
Une famille exceptionnelle : le témoignage des filles Martin
Voilà le témoignage des filles Martin.
« Toute ma vie le bon Dieu s’est plu à m’entourer d’amour, mes premiers souvenirs sont empreints des sourires et des caresses les plus tendres ! » (Ms A, 4 v°) : voilà le portrait le plus vivant des Vénérables Serviteurs de Dieu Louis Martin et Zélie Guérin, tracé par la plus illustre de leurs filles. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus de la Sainte Face, dans les premières pages d’Histoire d’une âme, décrit la douceur et la joie de sa vie familiale. Thérèse, le plus jeune Docteur de l’Église, a perçu sa famille comme la terre d’un jardin, « une terre sainte » où elle a grandi avec ses soeurs, sous la houlette habile et experte de ses incomparables parents.
« Le bon Dieu – écrit-elle à l’abbé Bellière quelques mois avant sa mort – m’a donné un père et une mère plus dignes du Ciel que de la terre ». Cette conviction profonde des filles Martin de la sainteté de leurs parents était partagée par les membres de leur famille comme aussi par de simples personnes qui en parlaient comme d’un couple saint.
Quatorze ans après la mort de Zélie, dans une lettre de 1891 (mille huit cent quatre-vingt onze), la tante Céline Guérin écrivait à Thérèse, déjà au Carmel : « Qu’ai-je donc fait pour que Dieu m’ait entourée de cœurs si aimants ! Je n’ai fait que répondre au dernier regard d’une mère que j’aimais beaucoup, beaucoup. J’ai cru le comprendre ce regard, que rien ne pourra me faire oublier. Il est gravé dans mon cœur. Depuis ce jour, j’ai cherché à remplacer celle que Dieu vous avait ravie, mais hélas ! rien ne remplace une Mère !… Ah ! c’est que tes Parents, ma petite Thérèse, sont de ceux qu’on peut appeler des saints et qui méritent d’enfanter des saints« Léonie, elle-même, qui créa tant de difficulté à ses parents, répétait à ses Sœurs de la Visitation de Caen : » Noblesse oblige ; j’appartiens à une famille de saints ; je dois être à la hauteur. « Les Martin ne sont pas saints pour avoir mis au monde une sainte, mais pour avoir aspiré à la sainteté en tant que couple. Ils étaient animés d’un désir réciproque, il y avait chez tous les deux la volonté de rechercher, dans l’état de vie qu’ils avaient embrassé, la volonté de Dieu et l’obéissance à son commandement : » Soyez saints car je suis saint « . Louis et Zélie Martin ont été l’humus, la terre féconde, où Thérèse est née et a vécu durant quinze ans, avant de devenir »la plus grande sainte des temps modernes ».(Pie X)
Leur secret : une vie ordinaire « extraordinaire »
Louis et Zélie sont un exemple lumineux de vie conjugale vécue dans la fidélité, dans l’accueil de la vie et dans l’éducation des enfants. Un mariage chrétien vécu dans la confiance absolue en Dieu et qui peut être proposé aux familles d’aujourd’hui. Leur vie matrimoniale a été exemplaire, remplie des vertus chrétiennes et de sagesse humaine. Exemplaire ne signifie pas que nous devons calquer, photocopier leur vie en reproduisant tous leurs faits et gestes, mais que nous devons utiliser comme eux, les moyens surnaturels que l’Église offre à chaque chrétien pour réaliser sa vocation à la sainteté. La Providence a voulu que leur Béatification soit annoncée dans le cadre des célébrations du cent cinquantième (150°) anniversaire de leur mariage, treize (13) Juillet mille huit cent cinquante huit (1858).
Pourquoi après tant de temps ? Une telle famille n’est-elle pas loin de notre époque ?
En quoi sont-ils actuels, ces parents Martin ? Peuvent-ils aider nos familles à affronter les défis d’aujourd’hui ?
Je suis sûr qu’un vaste débat va s’ouvrir autour de ce couple et lors de leur prochaine Béatification. Conférences, débats, tables rondes chercheront à déterminer l’actualité de leur expérience avec notre histoire si complexe. Une chose doit cependant être claire : l’Église n’a pas canonisé une époque, mais elle a examiné la sainteté. Avec les Martin, l’Église propose aux fidèles la sainteté et la perfection de la vie chrétienne, que ce couple d’époux a atteint de façon exemplaire et, pour utiliser le langage des Procès, jusqu’à un degré héroïque. L’Église ne s’intéresse pas à l’exceptionnel, mais a souligné comment, dans le quotidien de leur vie, ils ont été le sel de la terre et la lumière du monde (Matthieu 5.13-14). Le Serviteur de Dieu Jean-Paul II affirmait : Il est nécessaire que l’héroïque devienne quotidien et que le quotidien devienne héroïque. L’Église a établi que Louis et Zélie ont fait de leur vie quotidienne quelque chose d’héroïque, et de l’héroïsme quelque chose de quotidien. Cela est possible pour chaque chrétien quel que soit son état de vie. Il me plaît de citer ici un passage de la célèbre Lettre à Diognète sur le mariage chrétien et que les époux Martin ont su parfaitement incarner :
Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le territoire, ni par la langue, ni par le vêtement. (…) Ils se marient comme les autres et ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas les nouveau-nés. Ils vivent dans la chair, mais pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies, mais leur façon de vivre dépasse les lois.
Cette lettre trace un modèle concret de vie possible, une route que tout disciple de Jésus est appelé à parcourir, même aujourd’hui : annoncer la beauté du mariage chrétien avec ses expériences authentiques, crédibles, attrayantes. Pour réaliser ceci il faut des époux et des parents mûrs dans l’amour. Louis et Zélie ont embrassé la forme de vie conjugale pour suivre Christ. Époux, conjoints et parents en Christ où le mariage est accueilli comme un appel et une mission donnés par Dieu. Avec leur vie, ils ont annoncé à tous la bonne nouvelle de l’amour « en Christ » : l’amour humble, l’amour qui n’épargne rien pour recommencer chaque matin, l’amour capable de confiance, de sacrifice. Cette communion émerge clairement dans les lettres échangées entre les deux époux.
Dans une de ces brèves lettres, qui est presque une synthèse de l’amour matrimonial, Louis signe ainsi : Ton mari et vrai ami, qui t’aime pour la vie. À ces mots, lui font écho ceux de Zélie : « Je te suis en esprit toute la journée ; je me dis : » Il fait telle chose en ce moment « . Il me tarde bien d’être auprès de toi, mon cher Louis ; je t’aime de tout mon cœur, et je sens encore redoubler mon affection par la privation que j’éprouve de ta présence ; il me serait impossible de vivre éloignée de toi. »
Quel est le secret de cette communion ? Peut-être, le fait que, avant de se regarder réciproquement dans les yeux, ils tenaient leur regard fixé sur Celui de Jésus. Ils vivaient sacramentellement la communion réciproque, à travers la Communion que tous deux cultivaient avec Dieu. C’est là le nouveau « Cantique des Cantiques », propre aux conjoints chrétiens : non seulement ils doivent le chanter, mais eux seuls peuvent le chanter. L’amour chrétien est un « Cantique des Cantiques » que le couple chante avec Dieu.
La vocation en famille
La vocation est avant tout une initiative divine. Mais une éducation chrétienne favorise la réponse généreuse à l’appel de Dieu : C’est au sein de la famille que les parents doivent être pour leurs enfants, par leurs paroles et leur exemple, les premiers annonciateurs de la foi, et qu’ils doivent favoriser la vocation de chacun, et de façon spéciale, la vocation consacrée (CCC, 1656). Ainsi, si les parents ne vivent pas les valeurs évangéliques, les jeunes hommes et les jeunes filles pourront difficilement entendre l’appel, comprendre la nécessité des sacrifices à faire ou apprécier la beauté du but à atteindre. En effet, c’est dans la famille que les jeunes font leur première expérience des valeurs évangéliques, de l’amour qui se donne à Dieu et aux autres. Il faut même qu’ils soient formés à se rendre responsable de leur liberté, pour être prêts à vivre, selon leur vocation, les réalités spirituelles les plus élevées (Jean-Paul II : Vie consacrée).
Tous les enfants Martin ont été accueillis comme un grand don de Dieu pour être ensuite rendus à Dieu. La maman, le cœur déchiré de douleur, a offert ses quatre enfants morts en bas âge. Le papa a offert ses cinq filles, à leur entrée au couvent. Pour leurs enfants, ils n’ont pas seulement souffert les douleurs de l’accouchement physique, mais aussi les douleurs d’engendrer en eux la foi jusqu’à ce que le Christ soit formé en eux (Galates 4, 19).
Ils ont été vrais ministres de la vie et parents saints qui ont engendré des saints ; ils ont guidé et éduqué à la sainteté. La famille Martin, comme la famille de Nazareth, a été une école, un lieu d’apprentissage et un lieu d’entraînement à la vertu. Une famille qui d’aujourd’hui va devenir un point de repère pour chaque famille chrétienne.
Homélie de Mgr Luigi Ventura
Basilique Sainte-Thérèse de Lisieux
Homélie de Mgr Luigi Ventura Nonce apostolique en France
« Dimanche 10 juillet 2011
Fête des bienheureux Louis et Zélie Martin
15e dimanche du temps ordinaire, Année A »
C’est un vrai privilège de me trouver parmi vous à Lisieux ce matin, et je tiens à exprimer ma gratitude pour l’honneur qui m’est fait de présider les célébrations pour la fête des bienheureux parents de sainte Thérèse.
Je salue en particulier Mgr Jean-Claude Boulanger, Évêque de Bayeux et Lisieux, et Mgr Jacques Habert, Évêque de Séez, tous les deux, par leur ministère, gardiens et promoteurs de la mémoire de la famille Martin et de la sainteté enracinée dans cette famille. Comme Représentant du Saint-Père, j’ai le privilège d’assurer cette communauté et ses pasteurs de la proximité spirituelle du Pape Benoît XVI, qui envoie de tout cœur sa Bénédiction apostolique.
Je suis heureux de cette possibilité de m’unir au pèlerinage dans les lieux associés à la famille de la petite Thérèse, amie et guide qui m’a accompagné depuis ma jeunesse en tant que pèlerin qui a été très touché par son message si simple, si profond et si beau.
La liturgie nous fait méditer sur le texte évangélique du jour – la belle parabole du semeur. Cette parabole, dans la bouche du Christ, est un véritable appel à l’éveil et à la conversion. Il est certain que notre terre reste encore bien entremêlée. Nous sommes tous, à la fois ou tour à tour, dociles et rebelles, réceptifs puis réfractaires, accueillants à l’Esprit et refermés sur nous-mêmes. L’ivraie et le bon grain cohabitent sur nos terrains (Mt 13, 24-30). Et le champ de nos vies prend peut-être parfois l’aspect d’un champ de bataille plutôt que d’un bon jardin.
L’Évangile nous pose une question et nous invite à une réponse : « Quelle terre sommes-nous » pour recevoir la Parole du Seigneur qui est semée si généreusement parmi nous ? La bonne terre peut toujours apparaître, avec l’humus de l’humilité. La Parole de Dieu, qui est toute-puissante, ne l’oublions pas, peut devenir en nous véritablement vivifiante et agissante.
Oui, lorsque, à vue humaine, tous les obstacles s’accumulent sur les pas, quand toute la peine apostolique que l’on se donne semble vaine, Jésus invite à vivre dans la certitude que la moisson finira par venir et qu’elle sera magnifique. Pour cela, nous avons à nous faire terreau accueillant à la Parole divine. Qu’elle vienne émonder et purifier nos terrains encombrés !
Dans la vie de l’Église, le fait de se donner jusqu’au bout et le généreux partage de la Parole divine sont reflétés dans les vies des saints en tant qu’expériences tangibles et expressions humaines de la Parole de Dieu dans notre communauté.
Les douleurs d’un enfantement
Je voudrais porter notre réflexion sur la deuxième lecture, tirée de la lettre de saint Paul aux Romains (8, 18-23). C’est la création tout entière, nous dit saint Paul, qui est appelée, après une douloureuse et mystérieuse transformation, à « connaître la liberté, la gloire des enfants de Dieu.
Le texte de la lettre aux Romains nous pose quelques questions fondamentales : Qu’est-ce qui me fait souffrir ? Qu’est-ce que j’attends de la gloire que Dieu va révéler en nous ? À quoi est-ce que j’aspire de toutes mes forces ? De quoi est-ce que j’espère être libéré ? Quel est l’être que Dieu est en train d’enfanter en moi ?
Pour les couples, parents et grands-parents, ce texte nous interroge : à quoi aspirons-nous de toutes nos forces pour notre couple ? L’un pour l’autre ? Pour chacun de nos enfants et petits-enfants ? Pour chacun de nos enfants et petits-enfants, quel est le travail d’enfantement qui les fait devenir eux-mêmes ?
Pour ceux qui travaillent (professionnellement ou à la maison) : qu’est-ce qui est de l’ordre de la productivité et de la fécondité dans mon travail ? Qu’est-ce qui est douloureux avec ceux que je côtoie dans mon travail ? Et dans mon travail lui-même ?
La famille Martin : modèle de sainteté au quotidien
Notre regard se dirige vers la famille de Zélie et Louis Martin pour découvrir quelques réponses à ces questions fondamentales et quelques pistes de réflexion pour nos vies. La sainteté du Peuple de Dieu n’appartient à personne d’autre qu’à Dieu seul. À Lui de révéler en temps voulu les témoins de son Amour dont le monde et l’Église ont besoin.
Dans sa Lettre apostolique Novo millennio ineunte (Au début du nouveau millénaire) le Pape Jean-Paul II écrit : « Je remercie le Seigneur qui m’a permis de béatifier et de canoniser de nombreux chrétiens, et parmi eux beaucoup de laïcs qui se sont sanctifiés dans les conditions les plus ordinaires de la vie.
Il est temps de proposer de nouveau à tous, avec conviction, ce “haut degré” de la vie chrétienne ordinaire : toute la vie de la communauté ecclésiale et des familles chrétienne doit mener dans cette direction. » (n. 31) C’est la raison pour laquelle la famille Martin aura toute sa place dans la spiritualité des chrétiens de notre temps.
D’abord en tant que couple : Louis et Zélie se sont profondément aimés et ils ont su exprimer leur amour. « Nos sentiments étaient toujours à l’unisson », dira Zélie en parlant de Louis. « Il me fut toujours un consolateur et un soutien ». Ils ont vécu 19 ans en couple. Un beau cadre exemplaire de vie conjugale.
Malgré les difficultés et les souffrances, les parents Martin ne se sont pas repliés sur eux-mêmes. Leur maison est toujours restée ouverte et accueillante à tous. On ne trouve aucune trace de jalousie ou de rivalité dans cette famille. Même si les parents ont eu du mal à comprendre leur fille Léonie, ils l’ont toujours aimée et ont prié pour elle. Ils ont aussi prié pour les vocations et dans leur cœur de père et de mère ils ont consacré leurs enfants à Dieu. Les familles de notre époque, si diverses soient-elles, peuvent trouver auprès des parents Martin un exemple et un soutien.
Les Martin nous manifestent un authentique amour conjugal et l’harmonie de leur couple. Zélie écrivait sur le compte de son mari : « Je suis toujours très heureuse avec lui, il me rend la vie bien douce. C’est un saint homme que mon mari, j’en désire un pareil à toutes les femmes. » (Lettre, 1.1. 1863) ; « Il me tarde bien d’être auprès de toi, mon cher Louis ; je t’aime de tout mon cœur, et je sens encore redoubler mon affection par la privation que j’éprouve de ta présence ; il me serait impossible de vivre éloignée de toi » (Lettre, 31.8. 1873).
Ils témoignent de la joie d’être parents malgré les sacrifices. « J’aime les enfants à la folie », écrit Zélie (Lettre, 15.12.1872). « Nous ne vivions plus que pour eux, c’était tout notre bonheur, (…) aussi je désirais en avoir beaucoup, afin de les élever pour le Ciel » (Lettre à Pauline ; 4.3.1877).
Ils sont un modèle d’engagement éducatif agissant toujours d’un commun accord, avec tendresse et fermeté, surtout par l’exemple de la vie de tous les jours : Messe quotidienne, prière à la maison, travail soutenu, climat de joie, courage dans les épreuves, solidarité avec les pauvres, apostolat.
Ils font preuve de responsabilité professionnelle et sociale. Zélie dirige une entreprise de fabrication de dentelle, Louis tient une boutique d’horlogerie et un commerce d’orfèvrerie, aidant de surcroît son épouse. Tous deux s’engagent profondément, avec intelligence, dans le travail, harmonisant les exigences professionnelles et familiales, respectant scrupuleusement les droits des ouvrières et des fournisseurs, observant le repos dominical.
Louis et Zélie sont une lumière aussi pour ceux qui affrontent la maladie et la mort. Zélie est morte d’un cancer, Louis a terminé son existence, éprouvé par une artériosclérose cérébrale. Dans notre monde qui cherche à occulter la mort, ils nous enseignent à la regarder en face, en s’abandonnant à Dieu.
Louis et Zélie sont un don pour tous ceux qui ont perdu un conjoint. Le veuvage est toujours une condition difficile à accepter. Louis a vécu la perte de sa femme avec foi et générosité, préférant, à ses attraits personnels, le bien de ses enfants.
Le projet de vie de Louis et Zélie Martin
La sainteté fait partie de leur projet de vie. Un jour, Zélie Martin écrira à ses filles Marie et Pauline : « Je veux devenir une sainte, ce ne sera pas facile, il y a bien à bûcher et le bois est dur comme une pierre. Il eût mieux valu m’y prendre plus tôt, pendant que c’était moins difficile, mais enfin “mieux vaut tard que jamais” ». Louis et Zélie ont compris que la sainteté n’était pas autre chose que la vie chrétienne prise au sérieux, l’expérience croyante qu’on laisse se déployer dans toute son existence.
Le secret de leur vie chrétienne a tenu en trois mots : « Dieu premier servi ». Ils sont pour nous aujourd’hui un appel : la recherche et la découverte de l’amour du Seigneur sont-elles vraiment la boussole de notre vie ? L’amour conjugal de Louis et Zélie est un pur reflet de l’amour du Christ pour son Église ; il est aussi un pur reflet de l’amour dont l’Église aime son Époux : le Christ. Le Père nous a choisis avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irréprochables sous son regard, dans l’amour (cf. Ep 1, 4).
Le mal n’est évincé que par la sainteté, non pas par la rigueur. La sainteté introduit dans la société une graine qui guérit et transforme.
Je me permets de citer les paroles prononcées par le Saint-Père Benoît XVI dans son récent discours aux participants de la rencontre organisée par l’Institut pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille (Salle Clémentine, vendredi 13 mai 2011) :
« La famille, voilà le lieu où la théologie du corps et la théologie de l’amour se mêlent. Ici, on apprend la bonté du corps, son témoignage d’une origine bonne, dans l’expérience d’amour que nous recevons de nos parents. Ici l’on vit le don de soi dans une seule chair, dans la charité conjugale qui unit les époux. Ici, l’on fait l’expérience de la fécondité de l’amour, et la vie se mêle à celle d’autres générations.
C’est dans la famille que l’homme découvre sa capacité d’être en relation, non comme un individu autonome qui se réalise seul, mais comme fils, époux, parent, dont l’identité se fonde dans le fait d’être appelé à l’amour, à être reçu par les autres et à se donner aux autres. »
Thérèse : fruit de l’amour de Zélie et Louis
On peut dire que la spiritualité de sainte Thérèse s’enracine dans celle de ses parents. Toute petite, Thérèse avait appris à envoyer des baisers à Jésus, à louer Dieu, à offrir son cœur à Jésus. L’acte d’offrande comme « la petite voie » ont été vécus par les parents Martin. Ils nous rappellent simplement qu’ils sont des baptisés engagés dans la vie du monde de leur époque et qui ont manifesté la sainteté de Dieu par toute leur vie.
Chers frères et sœurs, cette immense basilique à Lisieux est édifiée en l’honneur d’une personne qui a été très petite. Son message est ainsi proposé comme un chemin très sûr pour ceux qui veulent avancer à la suite de Jésus et vivre une belle communion avec lui.
Quelques années après sa mort, en 1897, elle est devenue très connue à travers le monde pour son petit chemin de simplicité, en faisant de petites choses et en s’acquittant des devoirs quotidiens. Elle est devenue un modèle de piété pour d’innombrables personnes ordinaires à travers le monde. Avec la publication de son manuscrit en 1956, la réelle image de Thérèse fut révélée ; non pas l’image d’une piété sentimentale que son époque aurait pu suggérer, mais l’image d’un témoignage ardent pour la proclamation de l’Évangile. « Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu. » (Mt 5, 8)
La jeune Thérèse avait désiré se joindre à un groupe de carmélites destinées à fonder une mission à Hanoi, au Vietnam, mais ce désir ne fut jamais réalisé. Malgré cela, c’était le plan de Dieu qu’elle soit proclamée patronne des missions par le Pape Pie XI. Par ailleurs, elle fut déclarée Docteur de l’Église par le pape Jean-Paul II en 1997, rejoignant ainsi deux autres femmes, sainte Thérèse d’Avila et sainte Catherine de Sienne, auxquelles Paul VI, en 1970, avait conféré ce titre, jusqu’alors reconnu seulement à des hommes. Devenue la plus jeune théologienne de l’Église, la petite Thérèse, par sa vie et ses écrits, a mis l’accent sur l’amour et la grâce de Dieu.
À l’occasion de la proclamation de sainte Thérèse comme Docteur de l’Église, le Saint-Père Jean-Paul II, dans son homélie, disait : « Elle n’a pas pu fréquenter l’université et n’a pas fait d’études suivies. Elle est morte jeune : pourtant, à partir d’aujourd’hui, elle sera honorée comme Docteur de l’Église, une reconnaissance hautement qualifiée qui l’élève dans la considération de toute la communauté chrétienne, bien au-delà de ce que peut faire un “titre académique”. (…) À une culture rationaliste et trop souvent envahie par un matérialisme pratique, elle oppose avec une désarmante simplicité la “petite voie” qui, en revenant à l’essentiel, conduit au secret de toute existence : l’Amour divin qui enveloppe et pénètre toute l’aventure humaine ».
Nous avons besoin de ce docteur, qu’est la petite Thérèse. Elle, qui a vécu une courte vie, enfermée et cachée dans un carmel, continue à être une source d’inspiration et d’encouragement pour les gens de notre temps. J’ai été très surpris, au cours de ma mission précédente, de voir les foules qui remplissaient les églises au passage de ses reliques. C’est un phénomène qui se répète toujours quand le reliquaire contenant son corps est transporté en quelque pays du monde que ce soit. C’est quelque chose d’inexplicable qui attire l’attention même de ceux qui ne croient pas et suscite en eux des questions. Mais il y a une raison : c’est le secret de la sainteté, c’est-à-dire la présence de l’amour de Dieu qui se manifeste et s’exprime dans la vie d’une âme simple.
Nous avons besoin de la petite Thérèse, en ses mains nous mettons nos vies avec nos pauvres faiblesses humaines et toute l’anxiété et les souffrances que certains d’entre nous peuvent endurer. Elle est docteur : le premier rôle du docteur est de soigner la personne malade, les délabrés et les blessés. Nous lui demandons d’être soignés et d’apprendre sa petite voie d’amour et de grâce. Nous avons besoin du regard bienveillant et de la compagnie de ses saints parents, les bienheureux Zélie et Louis Martin.
Ils nous disent que la sainteté est féconde, qu’elle est un terrain fertile où germent de nouvelles fleurs de sainteté. Depuis mon arrivée en France, il y a presque deux ans, je suis en train de découvrir la richesse que l’on trouve dans les signes de son histoire. Je suis de plus en plus touché de voir ce que la France doit à l’Église grâce aux missionnaires et aux saints des premiers siècles, et ce que l’Église doit à la France grâce aux nombreux et grands saints, d’une valeur extraordinaire et universelle, qu’elle a donnés : docteurs, pasteurs, martyrs de la charité, missionnaires, ascètes et pionner de nombreux chemins de vie chrétienne et de sainteté.
Chers frères et sœurs, nous célébrons ce matin l’Eucharistie du Seigneur en ce 15e dimanche de l’année liturgique. En contemplant la vie de cette remarquable famille Martin, nous voyons que c’est bien dans la prière, dans l’Eucharistie, dans une vie ecclésiale régulière et dans une attention très réaliste aux autres qu’ils ont puisé, au jour le jour, le dynamisme de leur don de soi. Ils sont ainsi les témoins de la joie, de la vraie joie, celle de croire et de vivre dans le Christ.
Nous sommes, nous aussi, appelés à nous décentrer de nous-mêmes, à nous tourner vers les autres et à vivre un véritable don de soi. Louis et Zélie Martin nous montrent la route. Leur fille Thérèse nous démontre combien cette route est simple et belle. Que le Seigneur fasse germer en nous les graines de la sainteté et de la droiture d’esprit, de la sagesse et de la vertu, semées dans nos cœurs humains !
C’est là que se trouve toujours et encore le secret qui peut transformer le monde, notre monde.